Méditer sept jours avec l’évangile du dimanche :
4èmedimanche de Carême. Année C
(Lc 15,1-3.11-32)
Méditation du dimanche :
Présentation du texte du dimanche
En ce quatrième dimanche de Carême de l’année C, la liturgie nous propose la lecture de la parabole dite du fils prodigue. Cette parabole propre à saint Luc se situe dans la longue section de son évangile consacrée au voyage de Jésus de Galilée vers Jérusalem, section dans la quelle Luc a inséré la majorité des textes qui lui sont propres. Plus précisément la parabole du fils prodigue constitue avec deux autres paraboles, celle de la brebis perdue et celle de la drachme égarée le chapitre 15 de l’évangile selon saint Luc consacré au thème de la miséricorde. Ces trois paraboles de la miséricorde ont une introduction commune qui forme les trois premiers versets de notre évangile :
En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux. » Alors Jésus leur dit cette parabole.
Dans l’évangile selon saint Luc, entre cette introduction et la parabole du fils prodigue figurent les deux paraboles de la brebis perdue et de la drachme égarée qui n’ont pas été retenues dans le texte liturgique. Celui-ci est donc un texte en quelque sorte recomposé qui omet les v. 4 à 10 du chapitre 15. Toutefois la recomposition proposée obéit à une certaine logique, car la parabole dite du fils prodigue doit s’interpréter à partir du contexte que fournit l’introduction commune aux trois paraboles/
La parabole elle-même se décompose en deux grandes parties toutes deux sur une même formule « il était perdu et il est retrouvé. » La première de ces deux parties est centrée du plus jeune fils alors que la seconde s’intéresse au fils aîné.
Ce constat amène à s’interroger sur le bien-fondé de l’appelation traditionnelle « parabole du fils prodigue ». Cette désignation souligne la continuité de cette parabole avec les deux précédentes. Dans les trois cas, il y a une perte suivie de retrouvailles célébrées dans la joie. Après avoir retrouvé la brebis perdue, le propriétaire invite ses voisins à fêter l’événement de même la femme, après avoir retrouve la drachme égarée. On peut même relever que les leçons tirées de la parabole de la brebis perdue : « c’st ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion » (Lc 15,7) et « Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit » (Lc 15,10) sont presque mieux adaptées à la parabole du fils prodigue qu’aux paraboles qu’elles concluent. La brebis et a fortiori la drachme ne peuvent guère être considérées comme des pécheurs qui se convertissent. En revanche le fils cadet fait retour vers son père et se reconnaît pécheur – il se convertit même si le terme n’est pas employé – et son retour cause la joie de son père.Toutefois cette parabole « du fils prodigue » parallèle à celle de la brebis perdue et de la drachme égarée pourrait s’arrêter au v. 24. La seconde partie de la parabole du v. 25 au v. 32 développe un motif absent des deux précédentes paraboles, celui de la réaction de celui qui n’a pas été perdu, le fils aîné qui refuse de s’associer aux réjouissances pour le retour de son frère. La conclusion de la parabole reste ouverte puisqu’on ignore si le fils aîné va ou non se rendre aux arguments de son père et accepter d’entrer dans les réjouissances données pour ls retour de son frère cadet.
Le motif de la réaction du frère aîné et son traitement sous forme de question ouverte paraissent liés à l’introduction commune aux trois paraboles qui signale la réaction négative des pharisiens face à l’accueil des pécheurs par Jésus. Après avoir justifié sa propre attitude d’accueil par les deux paraboles de la brebis perdue et de la drachme égarée ainsi que pour la première partie de notre parabole consacrée au fils cadet, Jésus évoque à travers la figure du fils aîné l’attitude des pharisiens et les place en quelque sorte devant leur responsabilité : comme le fils aîné, ils sont invités à s’associer aux réjouissances marquant le retour des pécheurs. Vont-ils le faire ?
Méditation du lundi :
L’introduction commune aux trois paraboles de la miséricorde.
L’introduction traite des relations entre trois personnages ou groupes de personnages : Jésus, les publicains et pécheurs, les scribes et pharisiens. Les publicains et pécheurs viennent à Jésus ; les scribes et pharisiens reprochent à Jésus d’accueillir publicains et pécheurs. Jésus se trouve en quelque sorte une position de médiateur, entre deux groupes qui n’ont pas de contact entre eux car les scribes et pharisiens refusent le contact des publicains et pécheurs.
Ce qui est décrit dans ces trois versets est illustré par plusieurs autres passages de l’évangile de saint Luc. Les plus caractéristiques sont le récit de l’appel de Lévi, en Lc 5,29-30 :
Lévi donna pour Jésus une grande réception dans sa maison ; il y avait là une foule nombreuse de publicains et d’autres gens attablés avec eux.Les pharisiens et les scribes de leur parti récriminaient en disant à ses disciples : « Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs ? »
Et l’histoire de Zachée en Lc 19,1-10 particulièrement lorsque Jésus dit à Zachée qu’il doit aller chez lui (cf. Lc 19,7) : « Voyant cela tous récriminaient : “Il est allé loger chez un homme pécheur.” »
Dans ces deux passages ainsi que dans notre texte, on peut repérer la présence du verbe récriminer – en grec gogguzô ou diagogguzô. Ces deux verbes grecs sont employés dans a traduction grecques selon le Septante de l’Exode et du Deutéronome pour décrire les récriminations du peuple hébreu contre Dieu et contre Moïse au désert. Ce sont ces récriminations qui ont valu au peuple le châtiment de la part de Dieu :
Vous tous qu’on a recensés, les hommes de vingt ans et plus, vous qui avez récriminé contre moi, vos cadavres resteront dans le désert. (Nb 14,29)
Cette idée est reprise par saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens (1 Co 10,10) :
Cessez de récriminer comme l’ont fait certains d’entre eux : ils ont été exterminés.
L’emploi du verbe « récriminer » laisse donc penser qu’en critiquant l’accueil par Jésus des pécheurs et publicains, les scribes et pharisiens s’opposent à Dieu en quoi s’opposent-ils à Dieu ? Dans la vision des scribes et des pharisiens, les publicains et pécheurs forment une catégorie dont on ne peut sortir : ils sont définitivement exclus et condamnés. D’ailleurs eux-mêmes refusent d’avori un contact avec les publicains et pécheurs. Au contraire, Dieu ne veut pas la mort du pécheur mais sa conversion. Et de fait Jésus appelle les pécheurs à la conversion : « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent » (Lc 5,32) et à propos de Zachée : « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Lc 19,9-10)
Méditation du mardi : Le fils perdu
La première partie de la parabole rapporte le parcours du fils cadet. Celui-ci demande à son Père sa part d’héritage. Après l’avoir dépensée il se trouve réduit à la misère. Il fait alors retour sur lui-même et décide de retourner chez son père qui l’accueille à bras ouverts et organise des réjouissances pour fêter son retour. On peut regrouper les différentes étapes de ce parcours en deux grandes parties : d’une part la chute ou la perte du fil prodigue d’autre part son relèvement.
Le parcours commence par le partage des biens (v. 11-12) Il convient de relever ici les termes employés pour désigner les biens. Le fils réclame une part de la « fortune » de son père. « Fortune » traduit le substantif grec ousia formé sur le participe aoriste du verbe eimi « être ». Ousia a deux sens en grec classique, un sens philosophique « essence », « substance », « être » et un sens matériel, « richesse », « biens », « fortune ». Bien évidemment le terme est ici employé par saint Luc dans son sens matériel mais il est bon d’avoir aussi à l’esprit el sens philosophique. D’ailleurs la traduction latine de ousia, substantia a aussi un sens matériel et un sens philosophique, elle désigne à la fois la « substance » et les moyens de « subsistance ». Le père partage ses « biens ». « Biens » traduit ici le grec Bios qui signifie la vie dans ses aspects matériels (durée de vie, moyen de vivre). Le Père accepte de partager ses moyens de vivre. On retrouve bios employé dans un contexte comparable en Lc 21,4 pour désigner l’offrande de la veuve : « elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre » (littéralement en Grec panta ton bion toute sa vie). Derrière la lecture purement matérielle du partage des biens, on peut donc faire une lecture existentielle : le père partage sa vie entre ses fils. Cette attitude du père est contraire à ce que préconise Ben Sira en Si 33, 30-24 :
Ni à ton fils, ni à ta femme, ni à ton frère, ni à ton ami, ne donne pouvoir sur toi durant ta vie. Ne fais don de tes biens à personne ; tu pourrais t’en repentir et devoir les redemander. Aussi longtemps que tu vis et qu’il te reste un souffle, ne te livre pas au pouvoir d’un mortel. Car il vaut mieux que tes enfants te sollicitent que de dépendre de tes fils. De toutes tes affaires gardent le contrôle, ne laisse pas ternir ta réputation. Et quand arrivera le dernier jour de ta vie, quand viendra l’heure de ta mort, tu répartiras ton héritage.
Cette imprudence du père qui accepte partages ses ressources, ses moyens de vivre de son vivant peut renvoyer à « l’imprudence » de Dieu qui accepte de distribuer les ressources de la Création aux hommes. Nous sommes des fils auxquels Dieu a donné toutes les ressources de la création pour que nous en disposions librement. Qu’en faisons-nous ?
Dans la seconde étape de son parcours (v 13), le fils « dépense tout ». On peut relever la répétition du terme « tout » qui forme en quelque sorte une inclusion au début du v. 13 « le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait » et au début du v. 14 « il avait tout dépensé ». Comme le père lui avait donné la moitié de tout ce qu’il avait pour vivre, on peut dire qu’en dépendant toute sa fortune, le fils « tue » symboliquement son père. Comment le fils s’y prend pour « tout » dépenser, il mène une vie de désordre ». « Vie de désordre » traduit l’expression grecque zôn asôtôs qui signifie littéralement (« en vivant de manière qui ne peut être sauvé ». En effet l’adverbe asôtôs est formée du verbe sôzô (sauver) et du préfixe privatif alpha. En un sens dérivé,asôtos peut signifier « de manière débauchée ». L’attitude prêtée du fils cadet est dénoncée dans le livre des Proverbes en Pr 28,7 : « Qui garde la loi est un fils intelligent ; qui s’encanaille fait la honte de son père. » Dans la version grecque de la Septante, l’expression correspondant au verbe « s’encanailler » est poimaineô asôtian soit littéralement « faire paître la débauche » soit « mener une vie de débauche ». On peut aussi citer Pr 29,3 : « Qui a la sagesse pour amie réjouit son père qui fréquente les prostituées y perdra son bien. » l’’expression « qui fréquente les prostituées » traduite le grec poimaineô pornas, littéralement « faire paître les prostitués ». On peut remarquer le parallélisme en grec entre les deux proverbes avec notamment l’emploi dans les deux cas du verbe poimaineô qui signifie littéralement « faire paître », « être berger ». Le parallélisme des deux proverbes pourrait suggérer que pur l’auteur des livres du proverbes une des caractéristiques d’une vie qui ne peut être sauvée » est de fréquenter les prostitués. Il faut remarquer que la parabole du fils prodigue paraît supposer la même équivalence dira à son père à propos du fils cadet qu’il « dévoré [s]on bien avec des prostituées »
Dans la troisième étape de son parcours (v. 14-16), le fils cadet fait l’expérience du manque. La traduction liturgique par l’expression « être dans la besoin » le verbe hystereô qui signifie au sens premier « être en retard » puis « manquer ». Le manque qu’il ressent n’est pas peut-être pas seulement matérielle mais aussi il éprouve le manque de son père avec lequel il a rompu tout lien. Un autre emploi du verbe hystereô en Lc 22,35 montre que le manque n’est pas seulement matériel. Jésus y demande à ses disciples : « Quand vous ai envoyés sans bourse, ni sac, ni sandales, avez-vous manqué de quelque chose ? » Cette question suggère que les disciples malgré leur précarité matérielle ne manquaient de rien grâce au lien qui les unissait à Jésus qui les avait envoyés. Au contraire le fils prodigue manque de tout car il n’a plus ni la fortune de son père ni de relation avec lui. La première chose qu’il fait est donc de s’engager » auprès d’un habitant du pays. Le verbe traduit par « s’engager » est le verbe kollaô qui signifie «au sens premier « coller » et dans un sens second « unir fortement » Une traduction par « s’attacher à » serait à mon avis plus juste. L’emploi de ce verbe confirme que le fils cadet manque autant de « relation » que de biens matériels. Il fait en quelque sorte de ce citoyen du pays un père de substitution. Mais ce « père de substitution » se révèle un mauvais père qui non seulement lui donne une tâche infamante garder des porcs animaux impurs mais ne le nourrit pas. Le fils cadet « désire se rassasier » (epithumeo chortasthenai) des gousses que mangent les porcs. L’expression « désirer se rassasier » se retrouve dans une autre parabole propre à saint Luc la parabole du riche et de Lazare où Lazare « désire se rassasier » (epithumeo chortastenai)de ce qui tombe de la table du riche (Lc 16,21). Le fils cadet est ici moins bien traité que des animaux :son humanité est niée comme celle de Lazare dont seuls les chiens, qui se nourrissaient peut-être de miettes tombées de la table du riche venaient lécher les plaies.
Méditation du mercredi : Le fils retrouvé
Après avoir coupé toute relation avec son père et dépensé tout sa fortune, le fils cadet fait l’expérience du manque. Il cherche en quelque sorte un père de substitution dans un habitant de la contrée mais celui-ci le traite durement moins bien que des porcs des animaux impurs.Le fils cadet fait alors retour en lui-même. Saint Luc nous donne à lire un petit dialogue intérieur du fils cadet. Ce procédé du dialogue intérieur d’un personnage se retrouve dans d’autres paraboles qui en sont rapportées que par l’évangile selon saint Luc. On le retrouve en Luc 12,3 pour le riche dont le domaine a beaucoup rapporté en Lc 16,3 pour le gérant malhonnête renvoyé de sa charge et en Lc 18,4 pour le juge inique importuné par la veuve lui réclamant justice. Le fils se souvient que son père a des ouvriers, selon la traduction liturgique, mais il serait plus exact de dire des salariés, misthios en grec de même racine que le mot salaire misthos qu’il traite convenablement et qui ont donc de quoi manger. Il se rend compte que quitte à être attaché un maître il vaut mieux l’être à son père qui traite convenablement ses salariés à son maître actuel qui ne lui donne même pas à manger si bien qu’il « meurt » de faim. Le verbe traduit en français par « mourir » est le verbe grec apollumi qui peut signifier « perdre » ou « périr » qui est employé deux fois dans la suite de la parabole par el père parlant du fils cadet : « il était perdu (apollumi) et il est retrouvé. » Le fils cadet envisage de « se lever ». « Se lever » traduit le verbe grec anistèmi qui est l’un des verbes employés pour décrire la résurrection de Jésus. Le fils perdu qui est train de périr va en quelque sorte « se lever », « ressusciter ».Le fils cadet reconnaît son péché contre le ciel et contre son père. L’expression « le ciel » est un hébraïsme pour désigner Dieu afin d’éviter de prononcer son nom sacrosaint. C’est pourquoi on peut rapprocher la formule du fils cadet de la confession de pharaon à Moïse et Aaron en Ex 10,16 : « J’ai péché contre le Seigneur votre Dieu et contre vous. » Le péché est toujours une faute contre Dieu comme l’affirme le Ps 50, le Miserere au v.6 où le psalmiste s’adressant à Dieu déclare : « Contre toi, et toi seul, j’ai péché, ce qui est ma à tes yeux je l’ai fait. » La confession du fils cadet peut être aussi rapprochée de la confession du publicain en Lc 18,13 : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis. »Le fils cadet envisage de déclarer à son père qu’il n’est pas digne pas d’être appelé son fils. Cette formule peut surprendre car elle paraît indiquer que le fils cadet considère qu’être fils est une dignité qui se mérite et qu’il l’a perdue.Ce faisant il se met à la place de son père seul qui peut ou non l’accueillir comme son fils. en fait c’est le fils cadet qui a décidé de rompre toute relation avec son père, qui a en quelque sorte « tuer » son père et fait comme celui-ci était mort. Et il ne le considère pas toujours pas comme son père mais comme un patron qui peut lui donner un salaire. Il veut substituer à la relation gratuite d’un père à son fils, la relation fondée sur l’échange de prestation du patron au salarié.
Voyons maintenant comment le père accueille le fils cadet. Son père le voit de loin ce qui signifie probablement qu’il l’attendait. Il est « saisi de compassion » expression qui traduit le verbe grec splagchnizomai qui signifie littéralement « être pris aux entrailles puisqu’il est formé sur le nom grec splagchna entrailles. Or l’une des caractéristiques du Seigneur dans l’Ancien Testament est que c’est un Dieu qui a des entrailles (rahamim en hébreu). Dans le Benedictus, en Lc 1,78, Zacharie évoque d’ailleurs « les entrailles de miséricorde de notre Dieu » (splagchna eleous theou hymon). Dans l’évangile de saint Luc on trouve deux autres emplois du verbe splagchnizomaidans le récit de la résurrection du fils de la veuve de Naïm où jésus est saisi de compassion envers cette pauvre veuve qui a perdu son fils unique (Lc 7,13) et dans la parabole du bon samaritain (Lc 10,33) où le samaritain est « sais de compassion » envers l’homme à moitié mort au bord de la route. le père « se jette au cou de son fils » - littéralement en grec « il tombe au cou »et « l’embrasse » Les mêmes expression sont employés par saint Luc dans le livre des actes pour décrire l’attitude anciens d’Éphèse faisant leurs adieux à Paul : « ils se jetaient au cou de Paul et l’embrasser ». L’attitude du père rappelle celle de Anna mère de Tobie qui lorsqu’elle revoit son fils en Tb 11,9, « se jette à son cou ». Cette attitude est liée soit à des retrouvailles après une séparation que l’on peut penser définitive soit à des adieux que l’on sait définitifs. Le fils commence à réciter au père le discours qu’il avait préparé mais son père ne le lui laisse pas finir :le fils s’arrête à « je en suis plus digne d’être appelé ton fils. »
Le père fait revêtir son fils des plus beaux vêtements et fait mettre une bague au doigt et mettre des sandales aux pieds. Ces différents éléments rappellent une scène du livre de la Genèse dans laquelle Pharaon honore Joseph : « il ôta l’anneau de son doigt et le passa au doigt de Joseph ; il le revêtit d’habits de lin fin et lui mit autour du cou le collier d’or » (Gn 41,42). Le père demande ensuite qu’on tue le veau gras. La mention du veau gras (ton moschon ton siteuton) fait évidemment penser à l’apparition de Mambré en Gn 18,7 où Abraham, quand arrivent les rois visiteurs, « prit un veau gras et tendre et le donna à son serviteur qui se hâta de le préparer. » Toutefois on peut remarquer que dans le texte grec le Père ne dit pas « tuer » le veau gras mais de le « sacrifier » (thuô en grec). On pourrait alors y voir une référence à Jg 6,25 dans la version de la Septante où le Seigneur demande à Gédéon de sacrifier le veau gras de son père. Le père demande en outre de se réjouir (euphrainôen grec). Ce verbe est employé dans la traduction grecque des psaumes selon la septante pour désigner la joie procurée par le Seigneur ainsi en Ps 5,12 : « Allégresse pour qui s’abrite en toi, joie éternelle ! »Le père prononce ensuite cette parole qu’il répétera à la fin récit sous une forme, un peu différente : « mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé » L’assimilation du péché à la mort se trouve dans la lettre aux Éphésiens au chapitre 2 : « Et vous, vous étiez des morts par suite des fautes et des péchés qui marquaient autrefois votre conduite » (Ep 2,1-2) On peut donc interpréter la phrase du père comme décrivant le péché et le repentir du fils. Mais on peut aussi essayer de juger cette formule à l’aune du début de la parabole où l’on avait l’impression que c’était le fils cadet qui voulait « tuer » son père et qui en tout cas semblait el considérer comme mort avant de se rappeler son existence. On constate ici que cette séparation avait été vécueaussi par le père comme une mort de son fils.
Méditation du jeudi : Le fils oublié ?
Abordons maintenant la deuxième partie de cette parabole qui concerne le fils aîné. Avouons-le cette seconde de la parabole propose plus d’embarras pour le lecteur moderne. On est tenté d’éprouver une certaine sympathie pour le fils aîné au moins au début.Il est en effet assez surprenant que le père n’ait pas averti son fils du retour de son frère et que celui-ci l’apprenne en rentrant des champs en écoutant la musique des réjouissances. Le père semble avoir oublié qu’il avait un fils aîné ou alors il a considéré que ce fils ferait comme lui et se réjouirait du retour de son frère. Le père ne semble en tout cas pas très respectueux de la personnalité de son fils. Or, comme l’interprétation traditionnelle de cette parabole assimile le père à Dieu, on n’ose pas critiquer ses gestes et ses paroles même lorsqu’ils peuvent paraître objectivement problématique.
Le fils aîné rencontre donc un serviteur et lui apprend le retour de son frère et lui indique que son père a « sacrifié » le veau gras car son frère est revenu en bonne santé. J’insiste ici sur le fait que le verbe employé est bien le verbe thuô qui signifie « sacrifier » et non « tuer comme le propose la traduction liturgique. Il s’agit bien d’un sacrifice et l’on peut même préciser en prenant en compte la raison invoquée par le serviteur « parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé » d’un sacrifice d’action de grâce. Le père rend grâce à Dieu d’avoir retrouvé son fils en bonne santé. Là encore ce point n’est généralement pas relevé dans les commentaires en raison de l’assimilation du père à Dieu. Si le père et Dieu, il ne peut s’offrir de sacrifice à lui-même. En réalité, il convient de distinguer deux plans celui de la parabole et celui de l’interprétation. Sur le plan de la parabole, le père est distinct de Dieu et d’ailleurs le fils cadet confesse à son père qu’il a péché « contre le ciel (c’est-à-dire contre Dieu) » et « contre lui » Il fait donc bien une distinction entre son père et son Dieu. Le père peut donc très bien offrir un sacrifice d’action de grâces à Dieu. En sacrifiant le veau gras, le père reconnaît donc que le retour de son fils est l’œuvre de Dieu. Le serviteur invite donc le fils aîné à s’associer à cette action de grâces.
Mais le fils aîné se met en colère et refuse dans la salle de fête. Le refus du fils d’aîné d’entrer dans la fête peut être rapprochée du refus des invités de se rendre au dîner dans la parabole des invités (Lc 14,16-20). Face à son père, le fils aîné indique les raisons de son refus. Il se compare à son frère cadet qu’il refus de reconnaître comme son frère mais qualifie de « ton fils que voilà ». Pour lui il semble que son frère est définitivement mort. Mais il faut bien reconnaître que le fils cadet ne semble pas plus songer à son frère aîné. En quittant son père il aussi coupé tout lien avec son frère aîné, lorsqu’il est revenu il a pensé à son père pas à son frère et son projet de demander à son père d’être considéré comme un ouvrier implique aussi qu’il ne veut pas savoir de relation avec son frère. Le fils compare d’abord son attitude à celle de l’autre fils. Lui a servi son père pendant de nombreuses années en respectant tous ses ordres.Alors que son frère a dévoré le bien de son père avec des prostitués. Regardons de plus près ces propos. Pour qualifier son service, le fils utilise le verbe grec douleuô qui est formé sur le substantif doulos, esclave. Le fils aîné se présente comme l’esclave de son père. Le fils aîné dit n’avoir jamais transgressé les ordres de son père : le terme traduit ici par « ordre » est le substantif grec entolè qui signifie « commandement » et qui est fréquemment employé dans la traduction grecque du Pentateuque et notamment du Deutéronome pour qualifier les « commandements de Dieu ». En quelque sorte le fils aîné se présente comme un fidèle observant des commandements de son père ce qui les rapproche des pharisiens qui sont des fidèles observants de la loi de Dieu. Et pour tout ce service le fils aîné n’a reçu aucune récompense de la part de son père, pas même un chevreau, un jeune bouc, - c’est à-dire un animal que l’on abattait ordinairement pour la viande parce qu’il n’y avait besoin que de quelques boucs adultes pour assurer la reproduction. En bref le fils aîné présente sa situation envers son père comme une sorte d’esclavage. Il a l’air de penser qu’il est moins bien traité qu’un ouvrier, ce qui le rapproche paradoxalement de son frère qui envisager de demander de son père d’être traité comme un ouvrier.
En revanche l’autre fils qui a dépensé le bien de son père avec les prostituées -on dit parfois que le fils aîné extrapole et qu’il exagère mais comme nous l’avons u précédemment Livre des Proverbes incite àrapprocher « vivre de manière qui ne peut être sauvée » (zôn asôtos) expression employée pour décrire l’existence du fils cadet en Lc 15,13 et « fréquenter les prostitués » (comparer Pr 28,7 et Pr 29,3) – reçoit en récompense un veau gras – c’est-à-dire un animal qu’on réservait pour les circonstances exceptionnelles. Le fils aîné commet ici une erreur d’interprétation puisqu’il semble considérer le sacrifice du veau gras comme un récompense pour le fils cadet alors qu’il s’agit d’un sacrifice d’action de grâces.
Méditation du vendredi : La réponse du père
Examinons maintenant la réponse du père au fils aîné. Elle commence tout d’abord par la formule « Toi, mon enfant » qui traduit le grec teknon su. Le substantif teknon est employé à deux reprises dans les évangiles de l’enfance de saint Luc. En Lc 1,17 le terme est employé par l’ange Gabriel décrivant à Zacharie la mission que remplira Jean le Baptiste : « il marchera devant, en présence du Seigneur, avec l’esprit et la puissance du prophète Élie, pour faire venir le cœur de pères vers leurs enfants » En Lc 2,48, Marie s’adresse à Jésus qu’elle vient de retrouver au Temple en ces termes : « Mon enfant, pourquoi nous-as-tu fait cela ? » Ce deuxième passage suggère que le mot teknon comporte une nuance d’affection par rapport au mot grec le plus souvent employé pour désigner un fils, huios.
Le père répond ensuite aux reproches de son fils sur le fait qu’il ne lui ait jamais rien donné. Le père répond « Tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi et à toi. » Cette parole peut être interprétée de plusieurs manières. Tout d’abord, on peut y voir un renvoi au début de la parabole où il était dit que le père avait partagé ses biens entre ses deux fils. Donc, logiquement, la part que n’a pas pris le fils cadet est donc celle du fils aîné. Le père a donc raison de dire à son fils : « Tout ce qui est à moi, est à toi. » Néanmoins, d’un point de vue psychologique on peut aussi voir dans cette déclaration la trace d’une relation fusionnelle entre le père et le fils aîné. Le début de la déclaration notamment interroge : « Tu es toujours avec moi ». Le père ne semble pas prendre en compte la possibilité que son fils aîné fasse comme son fils cadet et le quitte. On dirait qu’il a du mal à voir dans son fils aîné un individu ayant sa personnalité propre et c’est peut-être pour cela qu’il a négligé de l’avertir de la venue de l’arrivée de son frère cadet. On peut penser que le départ du fils cadet a poussé le père a renforcé son lien avec le seul fils qui lui restait au point que ce lien est devenu fusionnel. Le père ne veut pas perdre le seul fils qui lui reste et le fils aîné peut pleinement s’identifier à son père, jouir pleinement de l’amour de son père sans craindre la rivalité d’un frère. Mais cette relation est aussi une relation aliénante qui ne permet pas aux deux partenaires d’exprimer pleinement leur personnalité. Le retour du fils cadet vient casser cette relation fusionnelle en offrant la possibilité de l’ouvrir à une tierce personne, de passer d’une relation fusionnelle binaire à une relation ternaire plus équilibré. Le père cherche à organiser ce passage en par la réjouissance qui peut permettre la réconciliation mais le fils aîné refuse dans un premier temps cette logique car il voit dans son frère cadet un rival qui lui prend une partir de son père dont il jouissait de l’exclusivité.
La répétition de la formule conclusive de la première partie est en invitation pour le fils aîné à considérer que son frère qui était mort pour lui est de nouveau vivant, une invitation à quitter la logique de la relation fusionnelle avec son père pour retrouver l’équilibre d’une relation ternaire où chacun le père et les deux fils pourront établir une juste distance entre eux et s’épanouir pleinement.
Méditation du samedi : Proposition d’interprétation.
La parabole du fils prodigue est d’une très grande richesse et elle peut supporter de nombreuses interprétations. Nous allons essayer d’en proposer une. Nous ne proposons pas une lecture symbolique ou figurative de cette parabole à la manière des Pères de l’Église, c’est-à-dire, dans laquelle les personnages seraient des figures de réalités spirituelles. Nous allons plutôt nous intéresser comme nous l’avons comme nous l’avons fait dans le commentaire aux relations entre les personnages. L’enjeu principal du texte nous paraît être la relation de filiation. Les figures des deux fils présente deux manières de concevoir la filiation mais qui sont aussi des refus de la fraternité ; car aucun des deux frères ne semble prendre en considération en frère.
L’attitude du fils cadet peut être défini par un refus de la filiation. Ce refus prend successivement deux formes. La première est la rupture violente de la relation avec son père (et par la même occasion avec son frère). Le fils cadet s’en va loin de son père et se comporte comme s’il n’avait pas de père, comme s’il était complètement autonome. Mais cette autonomie totale se révèle une illusion puisqu’il se retrouve rapidement engagé dans un lien de dépendance envers un étranger plus étroit que celui qui l’unissait à son père. Il tombe dans un véritable esclavage qu’il fuit pour aller retrouver son père. Mais ce n’est pas parce qu’il retourne chez son père qu’il veut reprendre sa place de fils. Il voudrait être traité comme un ouvrier. C’est en quelque sorte la deuxième forme que peut prendre le refus de la filiation substituer à la gratuité de la filiation, une relation marchande fondée sur l’échange de prestations, la relation de l’ouvrier au patron.
L’attitude du fils aîné peut se définir comme une identification au père. Le fils aîné accepte de faire tout ce que lui commande de n’avoir pas d’autre volonté que celle de son père dans la perspective qu’après ce sera lui qui commandera de la même manière. Le départ de son frère, loin de le chagriner, favorise sa stratégie d’identification devenu le seul fils présent, il peut s’identifier encore plus étroitement à son père. C’est pourquoi il voit de mauvais œil le retour de son frère comme celui d’un rival qui vient casser sa relation privilégiée avec le père.
Les attitudes des deux frères sont apparemment diamétralement opposées : l’un rompt toute relation avec alors que l’autre ne vit que par sa relation avec son père mais, elles sont aussi complémentaires. Le départ du fils cadet permet au fils aîné de s’identifier pleinement à son père et elles ont pour point commun de nier la relation de fraternité existant entre eux. Le fils cadet, lorsqu’il rompt avec son père rompt aussi tout relation avec son frère et lorsqu’il envisage de retourner vers son père comme un patron, il ne prend pas en compte l’existence de son frère (qui serait pourtant aussi théoriquement son patron). Le fils aîné considère son frère comme un rival qui l’empêche de s’identifier pleinement à son père. Bref aucun des deux fils ne se considère l’autre fils comme un frère.
Le père a pourtant bien deux fils e t son projet est bien de réconcilier ses deux fils pour les avoir en même temps avec elui et non pas un fils omniprésent qui s’identifie à lui et un fils absent.
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