avec l’évangile du dimanche
Méditer sept jours
Évangile 3ème dimanche de Carême
Année A (Jn 4, 5-42)
Méditation du dimanche:
Présentation du texte de l’évangile
En ce troisième dimanche de Carême de l’année A la liturgie nous propose ce récit de la rencontre de Jésus et de la Samaritaine dans l’évangile selon saint Jean. À l’origine ce long évangile est le premier des trois textes tirés de l’évangile selon saint Jean qui étaient lus, les troisième, quatrième et cinquième dimanches de carême dans le cadre de la préparation des cathéchumènes au baptême, les deux autres étant les récits de la guérison de l’aveugle de naissance (Jn 9) et de la résurrection de Lazare (Jn 11). Depuis la réforme liturgique, ces évangiles sont lus systématiquement l’année A mais sont lus les autres années dans les paroisses où il y a des cathéchumènes qui se préparent à être baptisés la nuit de Pâques.
Ce récit se situe au début de l’évangile selon saint Jean alors que Jésus, après un premier séjour à Jérusalem pour la fête de la Pâques, au cours duquel il a expulsé les marchands du Temple, rentre en Galilée et, pour cela traverse la Samarie (Jn 4,4) compose pourrait-on dire de quatre scènes:
Méditation du lundi:
l’introduction du dialogue et son arrière-plan vétérostestamentaire
Après une brève introduction présentant les circonstances dans lesquelles prend place ce dialogue v. 5-9, une première partie (v. 10-19) porte sur la question de l’eau et s’achève par la reconnaissance par la Samaritaine que Jésus est un prophète. S’ensuit une seconde partie du dialogue portant la question du lieu où l’on doit rendre un culte au Seigneur et qui s’achève par l’affirmation par Jésus lui-même qu’il est le Messie. (v. 20-26).
L’introduction du dialogue comprend plusieurs références vétérotestamentaires explicites et implicites qu’il convient d’éclaircir au préalable car elles permettent de mieux comprendre l’échange entre Jésus et la Samaritaine.
La seule référence véritablement explicite concerne la localisation de la scène: «une ville de Samarie, nommé Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph.» cette expression paraît en effet renvoyer directement à Gn 48,22, Lorsque Jacob, après avoir béni les fils de Joseph, annonce à celui-ci sa mort prochaine et ajoute: «Et moi, je te donne une colline de plus qu’à tes frères: Sichem, que j’ai conquise des mains des Amorites par mon arc et mon épée.» En Jos 24,32, il est précisé que les ossements de Joseph ramenés d’Égypte sont ensevelis à Sichem: «Quant aux ossements de Joseph, que les fils d’Israël avaient emportés d’Égypte, on les ensevelit à Sichem, dans la parcelle du champ que Jacob avait acheté pour cent pièces d’argent aux fils de Hamor, père de Sichem; Ils devinrent un héritage pour les fils de Joseph.» Cette double référence suggère que la ville de Sykar où Jean place la rencontre de Jésus et de la Samaritaine se place au cœur symbolique de la Samarie, près de l’endroit où a été enterré Joseph, le fils préféré de Jacob, puisque Jacob et Joseph sont les deux patriarches dont les Samaritains se réclament de la filiation.
Par ailleurs la scène ici décrite mettant en présence autour d’un puits un homme et une femme renvoie implicitement à trois scènes du même type rapportées dans l’Ancien Testament, deux dans le livre de la Genèse, une dans l’Exode, et qui aboutissent toutes les trois à une mariage.
Le premier de ces récits se trouve au chapitre 24 du livre de la Genèse. Les protagonistes en sont un serviteur d’Abraham, décrit comme l’intendant de tous ces biens et Rébecca, fille de Bétouel. Le serviteur d’Abraham venu chercher une épouse pour Isaac le fils d’Abraham demande à boire à une jeune fille qui non seulement le lui donne mais offre d’abreuver ses chameaux. Le serviteur y voit le signe que la jeune fille est l’épouse destinée au fils de son maître et, de fait, la jeune fille se révèle être de la parenté d’Abraham.
Le second récit se trouve en Gn 29. Jacob fuit la colère de son frère Esaü et cherche refuge chez son oncle maternel, Laban. Près d’un puits, il rencontre la fille de celui-ci Rachel, et cette fois-ci c’est Jacob qui roule la lourde pierre du puits pour que Rachel puisse abreuver son bétail.
Le dernier récit se trouve en Ex 2. Moïse fuyant la colère de pharaon, après avoir tué un Égyptien rencontre près d’un puis les sept filles de Réouël prêtre de Madiane. Il les défend contre des bergers qui veulent les chasser.
La rencontre de Jésus et de la Samaritaine emprunte, nous le verrons, des éléments à ces trois récits vétérotestamentaires. Le début du récit rappelle en tout cas la rencontre du serviteur d’Abraham et de Rachel. Comme le serviteur d’Abraham, Jésus demande à boire à une femme. Mais la Samaritaine contrairement à Rachel ne lui tend pas spontanément sa cruche mais s’étonne qu’un Juif parle à une Samaritaine.
Cet étonnement renvoie à un dernier élément historique documenté par des textes vétérotestamentaires mais aussi par les œuvres de l’historien juif Flavius Josèphe, la haine mutuelle entre Juifs et Samaritains. D’après le deuxième livre des Rois (2 Rois 17, 24-41), après la prise de Samarie par les Assyriens, les tribus d’Israël furent déportées et furent installés des colons païens venus de différentes régions et vénérant chacun leurs propres dieux. Ces colons apprirent à vénérer le Seigneur mais ils continuaient en parallèle à honorer les anciens dieux. Aux yeux des Juifs, les Samaritains étaient donc à al fois des étrangers, descendants des colons installés par des Assyriens et des mauvais croyants qui mêlaient au culte du Seigneur, celui de divinités païennes. Le conflit entre Juifs et Samaritains s’était surtout développé au retour de l’exil, lorsque Judéens revenus de Babylone avaient refusé d’accéder à la demande des Samaritains de participer à la reconstruction du Temple de Jérusalem (Esdras 4,1-3). En riposte, les Samaritains avaient alors construit leur propre temple sur le mont Garizim. les propos très sévères de jésus Ben Sira à l’égard des Samaritains qu’il appelle «le peuple fou qui habite à Sichem» témoignent de l’hostilité entre les deux peuples au début du iie siècle avant Jésus Christ. Les événements des deux derniers siècles avant notre ère ne contribuèrent pas à apaiser la tension. En effet les Juifs ayant recouvré une large autonomie après la révolte maccabéenne, le grand-prêtre Jean Hyrcan, descendant de Maccabées et fondateur de la dynastie hasmonéenne, fit raser la ville de Samarie ainsi que le temple du mont Garizim en 108 av. J. -C. Peu avant l’ère chrétienne, les tensions avaient été ravivées par l’initiative Hérode le Grand qui avait fait reconstruire Samarie sous le nom de Sébaste en 30 av. J.-C.
Méditation du mardi:
Le dialogue autour de l’eau: Jésus comme prophète.
Face à la réticence de la Samaritaine à lui donner l’eau qui lui a demandé, Jésus se présente lui-même comme étant capable de lui donner de l’eau vive. En quelque sorte il ne présent plus sa situation comme celle du serviteur d’Abraham demandant de l’eau à Rébecca mais comme celle de Jacob abreuvant le bétail de Rachel. La Samaritaine répond en ironisant sur la capacité de Jésus à lui donner de l’eau alors pour qu’il n’a rien pour la puiser. La question qu’elle lui pose «Serais-tu plus grand que notre père Jacob?» pourrait être comprise comme une allusion au «miracle» réalisé par Jacob en Gn 29 qui réussit à rouler tout seuls la pierre placée sur l’orifice du puits alors qu’habituellement on attendait que tous les troupeaux soient réunis pour la déplacer probablement parce qu’il fallait se mettre à plusieurs pour le faire.
Jésus répond à la question ironique de la Samaritaine en précisant que l’eau qu’il peut lui donner est différente de l’eau matérielle qu’a procuré Jacob précisant «celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif» Ce propos de Jésus peut être rapproché de celui qu’il tiendra à la synagogue de Capharnaüm après avoir nourri la foule dans le discours sur le pain de vie «Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim. Celui qui croit en moi n’aura jamais soif.» Un tel propos signale que l’eau et ici une figure pour désigner une réalité spirituelle. De ce point de vue il convient de signaler que l’image de l’eau ou plus précisément du puits pour désigner une réalité spirituelle était connu dans le judaïsme, le judaïsme contemporain de Jésus. Dans le texte essénien appelé Ecrit de Damas, «le puis aux eaux abondantes» désigne la Loi. Comme souvent dans l’évangile selon saint Jean, Jésus reprend une figure employée dans le judaïsme de son époque mais lui donne un sens nouveau car, pour lui, les eaux abondantes ne désignent pas la Loi mais plutôt l’Esprit Saint qu’il va donner à ses disciples après sa mort et sa résurrection. Il convient en effet de rapprocher le propos de Jésus à la Samaritaine: «l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source jaillissant pour la vie éternelle de la déclaration solennelle de Jésus au Temple de Jérusalem lors de la fête des Tentes «Si quelqu’un a soif qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi! Comme dit l’Écriture: De son cœur couleront des fleuves d’eaux vives.» (Jn 7,37-38). Or l’évangéliste commente cette déclaration ainsi: «En disant cela il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui» Il semble donc bien que ce soit l’Esprit Saint que Jésus propose de donner à la Samaritaine.
À la demande de la Samaritaine de lui donner de cet eau Jésus répond d’une manière a priori surprenante en lui donnant l’ordre d’aller trouver son mari. Cette réplique paraît renvoyer à la symbolique nuptiale des rencontres autour d’un puits dans l’Ancien Testament qui s’achèvent toutes par des noces, celles d’Isaac avec Rebecca en Gn 24, celles de Jacob avec Rachel en Gn 29 et celles de Moïse avec Cippora, l’une des filles de Réouël en Ex 2. À la réponse de la Samaritaine qu’elle n’a pas de mari, Jésus réplique en lui rapportant sa situation maritale: elle a eu cinq maris et elle vit avec un homme qui n’est pas son mari. On ne peut exclure une interprétation symbolique de la déclaration de Jésus. en effet en 2 R 17 dans la notice consacrée aux Samaritains sont mentionnés cinq peuples installés en Samarie, les gens de Babylone, de Kouta, Awwa, de Hamath et de Sefarwaïm et à chacun de ces peuples ets associé une ou plusieurs divinité, «les gens de Babylone firent un souccoth Benot,; ceux de kouta un Nergal; Ceux de Hamath, un Ashima; ceux de Hawa, un Nibas et un Tartaq; ceux de Sefarwaïm passaient leurs fils par le feu en l’honneur d’Adrammélek et d’Anammélek, dieux de Séfarwaïm»(2 R 17, 31) On pourrait donc interpréter les cinq maris renvoyant aux ici divinités païennes vénérées par les ancêtres des Samaritains et «celui que tu as maintenant» et «qui n’est pas ton mari» comme renvoyant au Seigneur Dieu d’Israël, vénéré par les Samaritains au temps de Jésus. Toutefois cette interprétation ne s’impose pas et l’on peut tout à fait comprendre la mention des cinq maris comme renvoyant à la situation personnelle de cette femme que Jésus connaît par son omniscience divine. De ce point de vue on peut relever le contraste entre notre texte en Gn 24. En Gn 24, de Rebecca qui avait donné spontanément à boire au serviteur d’Abraham et à ses chameaux, il est précisé «qu’elle était vierge, aucun home ne s’était uni à elle». Au contraire la Samaritaine qui est réticente à donner de l’eau à Jésus et eu cinq maris et vit avec sixième homme comme si avoir connu des hommes rendait moins disponible pour donner de l’eau à l’inconnu qui se présente.
Face à la connaissance que Jésus a de son passé, de son histoire personnelle, la Samaritaine reconnaît en lui un prophète. Sa réaction peut être rapprochée de celle Nathanaël au chapitre 2 du même évangile selon saint Jean qui lorsque Jésus lui avait déclaré qu’il l’avait vu sous le figuier avait confessé sa foi en lui: «Rabbi, c’st toi le Fils de Dieu! C’est toi, le roi d’Israël» Dans les deux cas l’interlocuteur de Jésus est convaincu que celui-ci vient de Dieu la capacité qu’il a le connaître Lui et son passé. Toutefois la confession de la Samaritaine est moins complète que celle de Nathanaël. C’est pourquoi le dialogue se poursuite et va être l’occasion pour la Samaritaine de grandir dans la foi.
Méditation du mercredi:
Le dialogue sur le lieu de culte: Jésus comme Messie
Juste après qu’elle a reconnu en Jésus un prophète, la Samaritaine donne une nouvelle orientation en posant une question qui est aussi l’objet d’un contentieux entre Juifs et Samaritains à savoir celle du lieu où l’on doit rendre un culte à Dieu. Il convient de préciser que les Samaritains comme les Juifs reconnaissent les cinq premiers livres de la bible réputés avoir été écrits par Moïse, la Torah ou le Pentateuque. Ils connaissent donc la prescription du Deutéronome de rendre un culte en un seul lieu Dt 12,5:«C’est uniquement au lieu choisi par le seigneur votre dieu parmi toutes vos tribus pour y mettre son nom et y demeurer, c’est là que vous le chercherez, c’est là que tu viendras.» Mais là où les Samaritains se séparent des Juifs c’est sur l’identité de ce lieu de culte unique. Alors que pour le Juifs, ce lieu est Jérusalem depuis que le roi Salomon y a bâti le Temple, pour les Samaritains, ce lieu est le mont Garizim cité à deux reprises dans le Deutéronome e Dt 11,29 et en Dt 27,12 com le lieu où, après l’entrée en terre promise, s teindront les tribus qui prononceront les bénédictions: «Se tiendront sur le mont Garizim pour bénir le peuple quand vous aurez passé le Jourdain: Siméon, Lévi, Juda, Issakar, Joseph et Benjamin.». À la fin du ive siècle av. J.-C., après qu’ils ont été exclus de la reconstruction du Temple de Jérusalem par les Judéens revenus d’Exil, les Samaritains ont établi leur propre sanctuaire su le mont Garizim, sanctuaire qui fut détruit à la fin du iie siècle par Jean Hyrcan, descendant des Maccabées et fondateur de la dynastie hasmonéenne.
Jésus refus d’entrer dans la polémique sur l’identité du bon lieu de culte. Il affirme au contraire que celle-ci est dépassé et que vient un temps où Dieu ne sera plus adoré ni dans l’un ni dans l’un ni dans l’autre des sanctuaires rivaux. Cette affirmation peut être rapprochée du propos tenu par Jésus lors de sa première Pâque à Jérusalem après qu’il a expulsé les marchands du Temple«Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai.» (Jn 2,19) Même si l’évangéliste précise «Mais lui parlait du sanctuaire de son corps», il n’en reste pas moins que son propos a pu être compris par ses auditeurs comme une prophétie de la destruction du Temple de Jérusalem. D’ailleurs les trois évangiles synoptiques selon Matthieu, Marc et Luc rapportent une parole de Jésus à Jérusalem, qui face à l’admiration de ses disciples devant les bâtiments flambants neufs du Temple reconstruit par Hérode – les travaux commencés 46 ans auparavant n’étaient pas encore achevés – annonce sa destruction «Vous voyez tout cela n’est-ce pas? amen, je vous le dis: il ne restera pas ici pierre sur pierre; tout sera détruit.» Et, de fait, le Temple de Jérusalem fut détruit lors du siège de la ville par titus en l’an 70. On peut donc penser que c’est à ce future pas si lointain que Jésus fait allusion lorsqu’il évoque l’heure où l’on n’adorera plus Dieu dans aucun des deux sanctuaires rivaux. Il est d’ailleurs probable que jean ait mis par écrit son évangile après 70 et la destruction du Temple de Jérusalem.
Jésus reste toutefois un bon Juif et, en juif il affirme la supériorité de la voie juive affirmant que les «Samaritains adorent ce qu’ils ne connaissent pas», un propos que l’on peut rapprocher du discours de saint Paul devant l’aréopage d’Athènes dans lequel saint Paul prenant pour prétexte l’existence d’un autel dédié «au dieu inconnu» avait déclaré: «or, ce que vous vénérez sans le connaître voici que moi je viens vous l’annoncer» (Ac 17,23), et aussi que «le salut vient des juifs» un propos que l’on peut rapprocher de l’oracle de Za 8,23: «En ces jours-là, dix hommes de toute nation saisiront un juif par son vêtement et lui diront: “Nous voulons aller avec vous, car nous avons appris que Dieu est avec vous.”»
Toutefois cette supériorité de la voie juive n’a guère d’importance car les différences entre Juifs et Samaritains sont désormais caduques puisque Jésus annonce une nouvelle ère où tous les vrais fidèles adoreront Dieu en esprit et en vérité. L’expression «L’heure vient, et c’est maintenant» par laquelle est présentée cette nouvelle ère se retrouve au chapitre 5 de l’évangile selon saint Jean lorsque Jésus évoque la résurrection des morts: «Amen, amen, je vous le dis: l’heure vient – et c’est maintenant – où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront.» (Jn 5,23). La double mention «en esprit» et «en vérité» peut être rapprochée de l’expression «esprit de vérité que saint Jean emploie pour désigner l’Esprit Saint (Jn 14,17; 15,26; 16,13). On peut aussi relever que dans la première lettre de saint Jean, l’apôtre affirme que «l’Esprit est la vérité». Ce point est important car cela permet de comprendre qu’esprit et vérité son pour saint Jean deux éléments intimement liés et même en parti synonymes. Pour lui un culte en esprit ne peut être qu’un culte en vérité et réciproquement.
L’expression de culte «en esprit» envoie à une tradition représentée dans les psaumes et dans les livres prophétiques méfiantes s à l’égard des sacrifices sanglants et qui considère que le véritable culte est un culte spirituel. À cet égard on peut citer le psaume 50, le célèbre miserere attribué à David après la faute commise ave Bethsabée, le psalmiste écrit «Si j’offre un sacrifice tu n’en veux pas, tu n’acceptes pas d’holocauste. Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé, tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.» (Ps 50, v. 18-19). En se plaçant dans la tradition prophétique et psalmique, et, dans la perspective de la destruction prochaine du Temple de Jérusalem, Jésus annonce la fin du culte sacrificiel lié à un sanctuaire précis qu’il s’agisse du Temple de Jérusalem ou de celui du mont Garizim et son remplacement par un culte «en esprit et en vérité» qui a en outre l’avantage de ne pas être lié à une religion particulière mais d’être ouvert à tous les «vrais adorateurs de Dieu». De ce point de vue on peut rapprocher noter texte du passage de la lettre aux Ephésiens (Ep 2,18) où l’apôtre Paul explique que juifs et païens, «nous avons, dans un seul Esprit, accès auprès du Père.» le culte en esprit permet à tous, Juifs, Samaritains ou païens d’avoir accès au Père. Pour justifier que le culte rendu à Dieu doit être désormais un culte spirituel, Jésus ajoute que «Dieu est esprit». Là encore on retrouve une affirmation comparable dans une lettre paulinienne, en l’espèce la deuxième lettre aux Corinthiens où saint Paul écrit: «Or le seigneur c’est l’Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté.»
À cette déclaration de Jésus, la Samaritaine réagit en évoquant la figure du Messie qu’elle présente comme «celui qui nous fera connaître toutes choses». La figure du Messie s’articule donc pour elle avec celle du prophète auquel elle a identifié Jésus. La Samaritaine a reconnu en, Jésus un prophète parce qu’il connaissait toute sa vie sans l’avoir rencontrée auparavant. Pour elle le prophète est donc quelqu’un qui dispose d’connaissance sur les personnes qui lui est donnée par Dieu. De ce point de vue le messie qui «fait connaître toutes choses» est un prophète mais c’est plus qu’n prophète en raison du caractère universel de sa connaissance et parce que non seulement il connaît mais en plus il fait connaître. En évoquant ici le Messie, la Samaritaine suggère en quelque sorte une question qu’elle n’ose pas poser à Jésus: «Es-tu Messie?» Jésus n’élude pas la question implicite et y répond franchement «Je le suis, mli qui et parles». Il est à noter que la première partie de la réponse traduite en français par l’expression «Je le suis» est en grec la formule «Egô eimi» très souvent employée par Jésus dans l’évangile selon saint Jean et qui renvoie au nom de Dieu révélé à Moïse au buisson ardent en Ex 3,14: «Tu parleras ainsi aux fils d’Israël: “Celui qui m’a envoyé vers vous, c’est Je-suis”» et repris dans un oracle du prophète Isaïe en Is 43,10: «Vous êtes mes témoins – oracle du seigneur -, vous êtes mon serviteur, celui que j’ai choisi pour que vous sachiez, que vous croyiez en moi et compreniez que moi, Je suis.»
La dialogue entre Jésus et la Samaritaine s’achève donc par la découverte par la Samaritaine que Jésus et le messie, découverte confirmée par Jésus lui-même qui suggère par sa réponse qu’il est plus encore qu’il est Je-suis, le Seigneur Dieu d’Israël, lui-même.
Méditation du jeudi:
Chassé-croisé
Les versets 27 à 30 constituent une courte scène de transition entre les deux grands dialogues qui structurent notre texte celui entre Jésus et la Samaritaine que nous venons d’étudier, et celui entre Jésus et les disciples.
Cette courte scène est marquée par une sorte de chassé-croisé entre les disciples qui, après avoir quitté la ville où ils ont fait des achats reviennent auprès de Jésus, et la Samaritaine, qui quitte Jésus pour retourner à la ville.
L’évangéliste commence par mentionner le retour des disciples. Ceux-ci s’étonnent de voir Jésus parler avec une femme et en effet, qu’un homme seul parle avec une femme seule ne va pas du tout de soi dans la société juive du temps mais ils gardent le silence, n’interrogent pas Jésus. En soulignant ce silence des disciples, l’évangéliste veut probablement mettre en évidence que les disciples n’interviennent aucunement dans al relation entre Jésus et la Samaritaine et qu’ils ne jouent donc aucun rôle dans l’annonce de la parole de Dieu à cette Samaritaine et même aux Samaritains de cette ville. Certes les Disciples ont été en contact avec les Samaritains avant jésus lui-même. Mais leur relation avec eux a été purement matérielle, utilisatrice: ils ont acheté de la nourriture et ils n’ont pas prêché la parole.
L’évangéliste signale ensuite le départ de la Samaritaine pour la ville. Celle-ci abandonne sa cruche c’est-à-dire que, par contraste les disciples, elle abandonne la tâche matérielle qu’elle était venue accomplir, puiser de l’eau. L’urgence de témoigner de ce qu’elle vient de Découvrir que Jésus est le Christ, le Messie, lui fait abandonner toute autre préoccupation. Devenue disciples de Jésus, elle se fait aussitôt missionnaire. la foi qu’elle a acquise dans son dialogue avec Jésus la pousse immédiatement à témoigner. Son témoignage «il m’a dit tout ce que j’ai fait» renvoie à sa conception du Christ comme «celui qui nous fera connaître toutes choses.» Si Jésus connaît tout d’elle et le lui dit, c’est pour elle un indice qu’ile st celui qui connaît et fait connaître toutes choses. Son appel aux gens de la vile est une manière aussi de leur demander de voir si eux aussi ils font la même constatation qu’elle, s’ils confirment son impression qu’il est le Messie. Elle a à la fois besoin de partager son expérience de Jésus de la voir confirmer par d’autre. En cela l’attitude de la Samaritaine est conforme à celle des premiers disciples de Jésus qui, après l’avoir rencontré, et avoir reconnue en lui le messie se sont efforcés d’amener un de leur proche à Jésus, André amenant son frère Simon (Jn 1,41-42) , et Philippe, son ami Nathanaël (Jn 1,45-47).
Méditation du vendredi:
Le dialogue de Jésus avec ses disciples
Le deuxième grand dialogue qui structure notre texte met en présence Les disciples te Jésus. Il s’ouvre par une interpellation des disciples qui invitent J2sus à manger. On peut remarquer ici le contraste avec le premier dialogue où c’est Jésus demandait à la Samaritaine à boire. Jésus répond qu’il a déjà de quoi manger. Comme dans le premier dialogue, il y une sorte de quiproquo entre Jésus et ses interlocuteurs alors que ceux-ci pensent à une réalité matérielle, l’eau à boire ou la nourriture à manger, Jésus se réfère à une la réalité spirituelle figurée par la l’élément matériel. Ainsi lorsque ses disciples s’interrogent sur la nourriture qui pourrait lui été apportée, Jésus leur répond en affirmant: «Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre.» La nourriture est donc ici comprendre comme un sens métaphorique comme ce qui est nécessaire à la vie, ce qui fait vivre. Ce qui fait vivre Jésus, c’est de «faire la volonté» de son Père qui l’a envoyéet «accomplir son œuvre» Ces expressions se retrouvent d’ailleurs. À plusieurs reprises dans l’évangile selon saint Jean pour définir la position de Jésus par rapport à Celui qui l’a envoyé. On les retrouve toutes les deux au chapitre dans le discours que Jésus tient aux Juifs après la guérison d’un infirme à la piscine de Bethzatha; Jésus explique tout d’abord qu’il ne cherche pas à faire sa volonté mais celle de son Celui qui l’a envoyé (Jn 5,30) puis affirme un peu plus loin qu’il «les œuvres que le Père lui a donné d’accomplir» témoignent pour lui (Jn 5,36). Dans le discours sur le pain de vie en Jn 6,38, Jésus insiste de nouveau «je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté mais la volonté de Celui qui m’a envoyé.» au début de son ultime prière, Jésus rend grâce au Père en se termes: «Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donné à faire.» On peut d’ailleurs remarquer que le dernier mot de Jésus sur la croix est, selon saint Jean, «Tout est accompli» (Jn 19,30) Jésus meurt lorsqu’il a fait la volonté de son Père et accompli ce qu’il lui avait donné de faire.
Après avoir évoqué la mission qui le fait vivre, Jésus annonce la proximité d’une moisson plus précoce que la laisse penser la saison. Il n’est guère possible de savoir à quelle période de l’année se situe cette scène. Le séjour à Jérusalem rapporté au chapitre 2 et 3 de l’évangile selon saint Jean a lieu à l’occasion de la Pâque juive le récit de l’expulsion des marchands du Temple commence par l’expression «comme la Pâque juive était proche,» mais il semble qu’il y ait eu un certain laps de temps entre ce séjour de Jérusalem pour la Pâque et le retour de Galilée au cours duquel Jésus aurait baptisé en Judée (Jn 3,22). Dans la torah la fête de la moisson (Ex 23,16) est l’une des trois grandes fêtes annuelles, elle correspond à la fête des semaines mentionnée en Dt 16,10 qui a lieu sept semaines après Pâques. Il n’est donc pas impossible que dans l’esprit de l’évangéliste Jean, rencontre de Jésus et de la Samaritaine ait pris place aux environs de la fête de la Pentecôte et que Jésus y fasse allusion devant ses disciples
La moisson est souvent dans la Bible une image à caractère eschatologique employée pour désigner la fin des temps c’est le cas chez le prophète Joël (Jl 4,13) dont la double image de la moisson et de la vendange est reprise dans l’Apocalypse (Ap 14,15). C’est aussi ce sens que l’on retrouve dans l’explication de la parabole du bon grain et de l’ivraie en Mt 13,38: «la moisson, c’est la fin du monde.» Cette vue n’est pas tout à fait étrangère à notre texte puisque l’on peut associer la moisson avec le temps annoncé par Jésus à la Samaritaine où les vrais adorateurs «adoreront Dieu en esprit et en vérité.» La moisson figure les temps messianiques où il n’y a plus besoin de sanctuaire pour rendre un culte à Dieu
Toutefois l’image de la moisson peut avoir une autre signification. La parole de Jésus placée en tête du discours d’envoi en mission des Douze chez saint Matthieu et des soixante-douze chez saint Luc «Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour la moisson» paraît faire de la moisson une métaphore de la mission: de même que la moisson nécessite une main d’œuvre nombreuse en raison de l’urgence à récolter les épis avant qu’ils ne se gâtent, le travail missionnaire est un travail urgent qui nécessite l’envoi de nouveaux disciples. La comparaison entre mission et moisson est implicite dans noter texte lorsque Jésus évoque la récompense déjà accordée au moissonneur. On peut penser qu’ici les moissonneurs renvoient aux disciples qui voient recueillir les fruits de la prédication de Jésus auprès de la Samaritaine alors qu’eux-mêmes n’ont rien fait. Il est, en effet remarquable que dans notre texte, les disciples ne jouent aucun rôle dans l’annonce de la Parole. C’est Jésus seul qui dialogue avec la Samaritaine, en l’absence des disciples partis acheter de la nourriture et lorsque, les disciples reviennent, la Samaritaine quitte Jésus pour aller trouver les habitants de la ville et leur annoncer que Jésus est le Messie. On peut donc dire que les disciples n’ont pas semé: c’est Jésus qui en premier sème la parole dans le cœur de la Samaritaine; c’est ensuite la Samaritaine elle-même qui sème la Parole dans le cœur de ses compatriotes. Les disciples vont donc participer à la moisson de ce qui ne leur a coûté aucun effort.
Méditation du samedi
La foi des Samaritains: Jésus Sauveur du monde.
La conclusion du récit rapporte les progrès de la foi chez les Samaritains en deux étapes successives. La première étape est le résultat de la prédication de la Samaritaine. Nous l’avions laissée ne train de témoigner auprès de ses compatriotes de sa rencontre avec Jésus mais nous ne savions pas quel accueil avait reçu son témoignage puisque l’évangéliste avait interrompu son récit l’avait laissé en suspens, pour rapporter le dialogue entre Jésus et ses disciples. Jean met fin au suspens en indiquant que les Samaritains «crurent en Jésus à cause de la parole de la femme». Non seulement celle-ci se fait prédicatrice de la Parole mais prédicatrice efficace amenant à la foi ses compatriotes qui invitent Jésus à demeurer avec lui.
La seconde étape est la foi amenée par l’écoute directe de la parole de Jésus: «Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à case de sa parole à lui.» Le témoignage indirect de celui qui a entendu la parole n’est pas suffisant: il n’amène qu’à un premier pas dans la foi qui doit être confortée par la fréquentation directe de la Parole. Ce n’est qu’en en entrant soi-même en contact personnel et direct avec Jésus, le Verbe de Dieu fait chair qu’on devient vraiment croyant. Ce progrès dans la foi se matérialise par l’attribution d’un nouveau titre à Jésus. Celui-ci n’est plus seulement désigné comme «le Messie» mais comme «le Sauveur du monde». Ce titre n’est employé pour désigner Jésus dans le Nouveau Testament qu’à deux reprises, les deux fois dans des textes attribués à saint Jean. L’autre occurrence se trouve en effet dans la première lettre de saint Jean en (1 Jn 4,14): «Quant à nous, nous avons vu et nous attestons que le Père a envoyé son Fils comme Sauveur du monde.» Par rapport au titre de Messie qui ne se comprend que dans le contexte culturel de la révélation biblique (juive voire samaritaine dans la mesure où les Samaritains considèrent à l’instar des Juifs les livres de la Torah comme Écritures Saintes), celui de Sauveur du monde a une valeur plus universelle et suggère que Jésus n’est pas venu seulement pour les Juifs mais aussi pour les Samaritains et même les païens. Ce titre correspond aussi à al manière Jésus lui-même a défini sa mission à Nicodème en Jn 3,17: «Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde mais pour que, par lui,; le monde soit sauvé.»
Le récit de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine marque une découverte progressive de Jésus par ses interlocuteurs. D’abord perçu par la femme qu’il rencontre auprès du puits comme un Juif, Jésus est ensuite reconnu par elle comme un prophète puis se définit lui-même comme le Messie avant d’être désigné par les habitants de la ville de Samarie comme le Sauveur du Monde. C’est donc à un véritable parcours de foi que nous invite ce texte à la suite de la Samaritaine et de ces compatriotes ces mal-croyants méprisés par les Juifs qui se révèlent ouverts à révélation de Dieu en son Fils unique Jésus-Christ.
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