Evangile du dimanche

Méditer sept jours avec l’évangile du dimanche:

1er dimanche de Carême.

Année C

(Lc 4,1-11)


Méditation du dimanche: Présentation du texte du dimanche


En ce premier dimanche du Carême, l’évangile proposé est traditionnellement le récit de la tentation de Jésus au désert. Juste après le baptême de Jésus par Jean le Baptiste, les trois évangiles synoptiques selon saint Matthieu, selon saint marc et selon saint Luc rapportent un séjour de quarante jours de Jésus au désert au cours duquel il est mis à l’épreuve par le diable. En cette année liturgique c nous lisons cet épisode dans la version qu’en donne saint Luc. Contrairement au à saint Marc dont le récit est très succinct, saint Matthieu et saint Luc proposent un texte plus développé rapportant un véritable dialogue entre Jésus et le diable. Par trois fois le diable s’adresse à Jésus. Dans l’ordre du texte de saint Luc, à un Jésus affamé le diable conseille d’abord de transformer – on pourrait dire de transsusbstantier – les pierres en pain, puis il lui promet de lui donner le pouvoir sur tous les royaumes de la terre s’il se prosterne devant lui, enfin l’emmenant à Jérusalem, il lui suggère de se jeter du haut du Temple, puisqu’étant donné qu’il est Fils de Dieu, les anges viendront le secourir. La présence du même dialogue chez les deux évangélistes laisse supposer qu’ils ont utilisé un même document. Aussi la majorité des exégètes considère que cet épisode figuré dans le document appelé source Q sont la teneur a été reconstituée à partir des parties communes à saint Matthieu et saint Luc absentes de saint Marc.

Du point de vue de la forme, on peut remarquer que les réponses de Jésus au diable sont des citations de l’Écriture ce que souligne l’emploi de la formule «il est écrit (gegraptai en grec) pour les introduire. L’Écriture Sainte est donc présentée dans notre texte comme l’élément qui doit garder notre vie et nous permettre de ne pas succomber à la tentation du diable. Toutefois la troisième tentation propose un scénario plus complexe car le diable lui-même a recours à l’Écriture en reprenant la formule «il est écrit». Ici le texte suggère que l’Écriture sainte elle-même peut être détournée de son sens, utilisée de manière perverse par le tentateur. Jésus réplique par une autre citation qui n’est plus introduite par «il est écrit» comme les précédentes mais par «il est dit» (eirètai) en grec. Jésus ne renvoie plus ici à la l’Écriture (à la parole mise par écrit, figée en quelque sorte par les hommes) mais à la parole telle qu’elle a été prononcée par Dieu et demeure vivante. Notre texte peut se décomposer en cinq unités

  • une introduction v. 1-2 qui est proche du récit de saint Marc
  • la première tentation v. 3-4.
  • la seconde tentation v; 5-8
  • la troisième tentation v. 9-12
  • une conclusion propre à saint Luc v. 13.


Méditation du lundi: l’introduction du texte


Alors que dans les évangiles selon saint Marc et saint Matthieu, l’épisode de la tentation au désert suit immédiatement le baptême de Jésus., saint Luc introduit entre les deux épisodes la généalogie de Jésus. Peut-être est-ce pour cela que saint Luc prend soin de souligner que Jésus est «rempli d’Esprit sain», précision absente des deux autres évangiles où le récit de la tentation suit immédiatement la descente de l’Esprit Saint sur Jésus lors du baptême.

Mais cette précision montre aussi l’importance toute particulière que Luc accorde à l’Esprit Saint. La formule «rempli d’Esprit Saint» rapproche Jésus de trois acteurs des évangiles de l’enfance: Jean le Baptiste dont l’ange Gabriel annonce en Lc 1,15: «Il sera rempli d’Esprit Saint dès le ventre de sa mère», Élisabeth qui, en écoutant la salutation de Marie«fut remplie d’Esprit Saint» (Lc 1,41) et Zacharie, retrouvant la parole après la naissance de son fils en Lc 1,67: «Zacharie, son père, fut rempli d’Esprit Saint et prononça des paroles prophétiques.» La présence de l’Esprit Saint auprès de Jésus est par ailleurs soulignée par l’utilisation d’autres expressions dans l’épisode qui suit le récit la tentation au désert, la scène de la prédication inaugurale à la synagogue de Nazareth. En effet, selon saint Luc Jésus revient en Galilée «dans la puissance de l’Esprit.» (Lc 4,14) et il s’applique à lui-même une formule du prophète Isaïe «l’Esprit du Seigneur est sur moi»(Lc 4,18)

Comme chez saint Marc et saint Matthieu c’est l’Esprit qui guide Jésus au désert «dans l’Esprit, il fut conduit au désert» la formule lucanienne est moins brutale que celle de saint Marc: «Aussitôt l’Esprit pousse – littéralement chasse ekballô en grec – Jésus au désert. Par ailleurs saint Luc se garde de suggérer que l’Esprit Saint est ne quelque manière le «responsable» de la tentation de Jésus comme parait le suggérer Saint Matthieu(Cf Mt 4,1): «Alors Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour y être tenté par le diable.»

La durée du séjour de Jésus est d’après saint Luc de quarante jours comme chez saint Marc – saint Matthieu précise quarante jours et quarante nuits. Luc note que Jésus «ne mange rien du tous ces jours-là» en quoi il est plus précis que saint Matthieu qui se contente de dire que Jésus «jeûna» la formule «ne mangea rien» rapproche Jésus de Moïse dont il est dit en Ex 34,28: «Moïse demeura sur le Sinaï avec le seigneur quarante jours et quarante nuits: il ne mangea pas de pain et il ne but pas d’eau.» De même en Dt 9,9, on retrouve la formule dans la bouche de Moïse s’exprimant à la première personne: «Je suis resté sur la montagne quarante jours sans manger ni boire.»

Un autre trait rapproche Jésus de Moïse tel qu’il est décrit en Dt 9. Luc signale effet que «quand ce temps fut écoulé, il eut faim» (littéralement d’après le grec, «quand les temps furent achevés»). La faim de Jésus et donc sa confrontation avec le diable vient après le temps de jeûne de quarante jours qui a été comme une sorte d’exercice préparatoire comme c’est le cas en Dt 9,11: «C’est au bout des quarante jours et des quarante nuits» que Moïse a reçu les tables de la Loi. Les quarante jours ne sont donc pas le temps d’affrontement de Jésus avec le diable mais la préparation à cet affrontement. On peut de ce point de vue rapprocher aussi notre texte de 1 R 19,8 où Élie, après savoir été nourri par un ange, marche quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb la montagne de Dieu, avant sa recontre avec le Seigneur.

De cette introduction du texte on peut donc retenir

  1. l’importance du rôle de l’Esprit Saint dont Jésus est rempli et qui le guide à travers le désert.
  2. que la privation de nourriture n’est pas une fin en soi mais la préparation à quelque chose de plus important, rencontre avec dieu pour Moïse et Élie, affrontement avec le diable pour Jésus.


Méditation du mardi: La première tentation


La première proposition du diable porte sur la transformation – on pourrait dire la transsubstantiation – de la pierre en pain.

On peut tout d’abord relever que dans l’évangile selon saint Luc, un personnage a déjà évoqué devant des auditeurs la possibilité de transformer des pierres, il s’agit de Jean le Baptiste en Lc 3,8 qui s’adresse aux foules en ces termes: «Ne commencez pas à vous dire: “Nous avons Abraham pour père.” car je vous le dis, de ces pierres, Dieu peut faire surgir des enfants à Abraham.» Il est possible qu’il y ait derrière cette formule de Jean le Baptiste un jeu de mots en hébreu entre pierre (’eben) et fils (ben). En tout cas Kean le Baptiste affirme la possibilité pour Dieu de transformer des pierres en êtres vivants.

Le diable commence sa proposition par la formule «si tu es le Fils de dieu». Cette formule renvoie à la scène du baptême de Jésus en Lc 3,22 où «il y eut une voix venant du ciel: “toi, tu es mon Fils bien-aimé; en toi, je trouve ma joie.”» Le diable veut en quelque sorte pousser Jésus à éprouver la véracité de cette affirmation. Si Jésus est le «fils bien-aimé» de Dieu et si Dieu est capable de transformer les pierres en fils d’Abraham Jésus doit être capable de transformer les pierres en pains.

La réponse de Jésus est une citation de Dt 8,3: «L’homme ne vit pas seulement de pain». Dans le livre du Deutéronome, cette formule s’inscrit dans un passage où moïse rappelle au peuple d’Israël l’expérience du désert. Plus spécifiquement, elle renvoie au don de la manne par le Seigneur aux Israélites dans le désert:

. Il t’a fait passer par la pauvreté, il t’a fait sentir la faim et il t’a donné à manger la manne – cette nourriture que ni toi ni tes pères n’aviez connue – pour que tu saches que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur.

lL réponse de Jésus paraît donc signifier que s’il est fils de Dieu, il n’a pas besoin de transformer les pierres en pains, Dieu pourvoira à sa nourriture en lui donnant ce dont il aura besoin et pas obligatoirement du pain comme il a fait pour les Hébreux au désert en leur donnant la manne.

Cette première proposition diabolique peut être aussi évaluée à l’aune de l’action ultérieure de Jésus. Certes Jésus n’a pas transformé les pierres en pains Mais il a nourri une foule de cinq mille hommes avec cinq pains et deux poissons dans un endroit désert (cf. Lc 9,10-17). Dans cet épisode il n’y a pas de transsubstantiation, les pains restent des pains mais ils sont partagés à l’infini. En partageant les pains, Jésus ne satisfait pas sa propre faim mais celle de la foule.

Jésus a aussi procédé à une autre transsubstantiation concernant le pain lors de la dernière cène. Il fait du pain son propre corps en Lc 22,19: «Puis, ayant pris du pain et rendu grâce, il le rompit et leur donna en disant: “Ceci est mon corps donné pour vous. Faites cela en mémoire de moi.”»

La proposition du diable se situe dans une logique d’appropriation: s’approprier ce que Dieu a fait pour en faire de la nourriture pour soi. À cette logique d’appropriation, Jésus répond par la logique du don: il distribue la nourriture qui est la sienne et celle des apôtres pour nourrir la foule et finit par distribuer son propre corps pour nourrir les autres.

La logique de l’appropriation est aussi celle qui préside au comportement prédateur de l’homme vis-à-vis de la Création dont la crise écologique révèle l’ampleur des dégâts. En ce temps, de Carême nous sommes incités à quitter cette logique prédatrice pour passer à celle du don et du partage.


Méditation du mercredi: la deuxième tentation


Relevons d’abord que cette deuxième tentation a une dimension universelle, elle concerne «toute la terre», tout le monde habité, l’oikoumenè en grec. Ce terme était déjà apparu au début du chapitre deux de l’évangile lorsque saint Luc avait évoqué: «un édit de l’empereur Auguste ordonnant de recenser toute la terre.» Dans la perspective lucanienne l’oikoumenè paraît donc se confondre avec le mode régi par le pouvoir romain. Est-ce à dire que saint Luc assimile le pouvoir universel de Rome à celui du diable comme pourrait le faire accroire la formule du diable«cela m’a été remis et je le donne à qui je le veux»? C’est aller un peu vite en besogne. Dans son second ouvrage, les Actes des Apôtres, Luc développe une vision du pouvoir romain qui n’est pas essentiellement négative. Les gouverneurs romains ne sont pas tous hostiles à la prédication chrétienne. Sergius Paulus, gouverneur romaine de Chypre, se convertit à la prédication de Paul, d’après le récit de saint Luc (Ac 13,12). Il faut plutôt considérer que la prétention du diable à la domination universelle est fallacieuse. Certes le monde romain est un monde païen mais c’est un monde dans lequel est proclamée à partir de la résurrection de Jésus la conversion et le pardon des péchés. (cf. Lc 24,47 «et que la conversion soit proclamée en son nom pour le pardon des péchés à toutes les nations en commençant par Jérusalem») Les Actes des Apôtres ont le récit de cette proclamation de la Bonne nouvelle jusqu’au cœur du monde païen, la cité de Rome puisque l’ouvrage s’achève sur l’arrivée de Paul à Rome. Le nom de Jésus devient donc connu de toutes les nations. Mais la libération qu’il apporte n’est pas de nature politiquecomme cela était attendu par ses disciples ; («Nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël» (Lc 24,21)). Il n’est pas venu pour exercer un pouvoir. Il n’est pas là pour «rétablir le royaume en Israël» comme le pensent encore les disciples au moment de l’Ascension (Ac 1,6).

L’idée que Satan dispose des royaumes de la terre consonne néanmoins avec un trait de l’évangile lucanien quj est le lien qu’il établit entre pouvoir et violence. Saint Luc est le seul à signaler «l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer mêlant leur sang à celui des sacrifices qu’ils offraient» (Lc 13,1)Si cet épisode n’est pas connu par ailleurs, il suggère en tout cas que le pouvoir de Pilate est fondée sur la violence. Il en va de même pour Hérode auquel saint Luc fait dire:» Jean, je l’ai fait décapiter» (Lc 9,9)

Le diable demande à jJsus de se prosterner devant lui. Le verbe «se prosterner» - proskyneô en grec – relativement courant dans l’évangile selon saint Matthieu est en revanche rare dans l’évangile saint Luc puisqu’on ne le retrouve qu’une seule autre fois à l’avant-dernier verset de l’évangile: «Ils se prosternèrent devant lui.» Cette «prosternation» devant Jésus ressuscité a lieu alors qu’il «était emporté au ciel» (Lc 24,51). C’est donc devant un Jésus non seulement ressuscité mais encore élevé dans la gloire que se prosternent les disciples. Saint Luc se montre donc très respectueux de la parole qu’il met dans la bouche de Jésus: «C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras; à lui seul tu rendras un culte.» Cette parole n’apparaît d’ailleurs pas en tant que telle dans les Écritures: il s’agitbd’une sorte de collage de Dt 5,9 qui interdit d se «prosterner» (proskyneô en grec) et de «rendre un culte» (latreuô en grec) à d’autres dieux et de Dt 6,13 qui demande de craindre ( phobeô en grec) et de «rendre un culte» au Seigneur Dieu.

Contrairement aux autres évangélistes saint Luc ne décrit pas au moment de la passion de Jésus une parodie d’adoration de Celui-ci par les soldats comme «roi des Juifs» . Il se contente de signaler sobrement: «Hérode, ainsi que ses soldats le traita avec mépris et se moqua de lui; il le revêtit d’un manteau de couleur écarlate et le renvoya à Pilate.» (Lc 23,11)

Pour saint Luc le pouvoir humain a un côté diabolique du fait de sa compromission avec la violence. Selon lui, Jésus n’est pas venu pour exercer un pouvoir mais pour annoncer la libération du péché et de la mort. Saint Luc insiste aussi sur le fait qu’on ne doit se prosterner que devant Dieu et lui seul.


Méditation du jeudi: la troisième tentation


Jésus est emmené par le diable à Jérusalem au sommet du Temple Cette expérience rappelle celle du prophète Ézéchiel transporté par l’Esprit de Dieu de son lieu d’exil au Temple de Jérusalem (Ez 8,3): «L’Esprit me souleva entre ciel et terre. Il m’emmena jusqu’à Jérusalem en des visions divines à l’entrée de la porte intérieure, celle qui est tournée vers le nord.»

Le diable suggère à Jésus «s’il est Fils de Dieu» de se jeter du Temple pour éprouver la protection divine. Il cite à l’appui de sa demande deux versets des Écritures tirées du psaume 90 (91 selon la numérotation hébraïque), un psaume que les moines bénédictins chantent tous les jours à Complies.: «Il a donné ordre à tes anges de garder en toutes tes voies» et «Eux-mêmes te soutiendront de leurs mains de peur que ton pied ne bute à la pierre.»

Cette suggestion diabolique anticipe les moqueries du peuple, des soldats et de l’un des malfaiteurs au moment de la passion de Jésus (Lc 23,35-37.39):

Les chefs tournaient Jésus en dérision et disaient: «Il en a sauvé d’autres; qu’il se sauve lui-même, s’il est le béni de Dieu, l’élu.»

Les soldats se moquaient de lui; s’approchant, ils lui présentaient de la boisson vinaigrée en disant: «Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même.»

L’un des malfaiteurs suspendus en croix l’injuriait: «N’es-tu pas le Christ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi!»

Jésus sur la croix est sommé de prouver qu’il est le Messie, le Christ, le roi des Juifs en se sauvant lui-même; ce même que le diable lui demandait de prouver qu’il était le «fils de Dieu» en se jetant du Temple.

Jésus réplique au diable par une citation tirée du Deutéronome (Dt,6,16): «Vous ne mettrez pas votre Seigneur à l’épreuve comme vous ‘avez fait à Massa.» On peut noter que les trois réponses de jJsus sont empruntées au livre du Deutéronome alors que le diable cite un passage des psaumes. Il est possible que cette différence reflète la hiérarchie des Écritures dans la tradition juive qui mettait au premier rang la Torah (la Loi de Moïse qui correspond aux cinq premiers livres de nos bibles, le Pentateuque) puis les écrits prophétiques (prophètes et livres historiques) et enfin les autres écrits (écrits de sagesse et psaumes). Jésus réplique au diable qui a cité un psaume c’est-_à-dire un écrit appartenant à la catégorie la plus faible en termes d’autorité en citant un passage de la Torah c’est-à-dire la plus haute autorité parmi les écrits bibliques. Dans une discussion rabbinique la citation de Jésus est considérée comme ayant plus de poids que celle du diable.

Le passage du Deutéronome pris dans son entier renvoie explicitement à un épisode du livre de l’Exode (Ex 17,1-7) où le peuple assoiffé s’en prend à Moïse:

Toute la communauté des fils d’Israël partit du désert de Sine, en observant les étapes prescrites par le seigneur. Ils campèrent à Rephidim. Comme il n’y avait pas d’eau à boire, le peuple chercha querelle à Moïse: «Donne-nous de l’eau à boire!» Moïse leur répondit: «Pourquoi me cherchez-vous querelle? Pourquoi mettez-vous le Seigneur à l’épreuve?»

Là, le peuple souffrit de la soif. Il récrimina contre moïse et dit: «Pourquoi-nous as-tu fait monter d’Égypte? Était-ce pour nous faire mourir de soif avec nos fils et nos troupeaux?» Moïse cria vers le Seigneur:: «Que vais-je faire de ce peuple, encore un peu et ils me lapideront!» Le Seigneur dit à Moïse: «Passe devant le peuple, emmène avec toi plusieurs des anciens d’Israël, prends en main le bâton avec lequel tu as frappé le Nil et va!» Moi, je serai là, devant toi, sur le rocher du mont Horeb. Tu frapperas le rocher, il en sortira de l’eau et le peuple boira!» et Moïse fit ainsi sous les yeux des anciens d’Israël

Il donna à ce lieu le nom de Massa (c’est-à-dire: Épreuve) et Mériba (c’est-à-dire: Querelle), parce que les fils d’Israël avaient cherché querelle au Seigneur, et parce qu’ils l’avaient mis à l’épreuve en disant: «Le Seigneur est-il au milieu de nous, oui ou non?»

Même si ce passage garde un caractère un peu énigmatique – la tradition ultérieure impute à Moïse d’avoir commis à Massa et Mériba une faute qui lui vaut l’exclusion de la terre promise alors que ce récit n’en dit rien – il aide néanmoins à comprendre c ce que signifie «mettre à Dieu à l’épreuve.» La mise à l’épreuve de Dieu procède d’une absence de confiance en lui dont le fondement est l’idée que Dieu est un fait un dieu méchant qui nous vit du mal «Est-ce pour nous faire mourir de soif pour nos fils et nos troupeaux?» Elle consiste à mettre en demeure de Dieu de réaliser un miracle pour prouver qu’il est bien le Dieu bon qu’il prétend être. Jésus n’a pas succombé à cette tentation non seulement au désert mais encore sur la croix et c’est pourquoi sa confiance en la volonté bonne de Dieu a été en raison de sa confiance en la volonté bonne de Dieu son Père, celui-ci a réalisé un miracle encore plus éclatant que celui que suggérait le diable, il l’a ressuscité des morts.


Méditation du vendredi: la conclusion propre à saint Luc


Le dernier verset du récit est propre à saint Luc. Comme saint Matthieu en Mt 4,11, saint Luc signale le départ du diable. Mais contrairement à saint Matthieu, il ne mentionne pas la présence d’anges servant Jésus.

Surtout le dernier verset du récit de saint Luc comprend deux idées qui lui sont propres. La première est que le diable «a épuisé toutes les formes de tentation». Cette formule française traduit l’expression grecque syntelesas panta peirassmon que l’on peut traduire littéralement «ayant achevé toute tentation». L’emploi de l’adjectif pas au singulier suivi d’un nom sans article peut avoir plusieurs sens possibles dans le grec du nouveau Testament «chaque», «toutes les sortesde», toutes les», «la plus grande des». Dans le contexte la traduction par «toutes le sortes de» paraît en effet la plus plausible. Elle suggère donc que toutes les tentations peuvent se regrouper en trois grandes catégories: la tentation de l’appropriation des bines matériels à son profit exclusif, la tentation du pouvoir et la tentation du miracle.

La seconde précision propre à saint Luc est l’expression «jusqu’au temps fixé» qui suggère que le diable va de nouveau à l’épreuve Jésus au moment de la passion. Cette mention invite à relire le récit de la passion de Jésus comme une mise à l’épreuve par le diable. L’intervention de Satan est mentionnée explicitement à deux reprises dans le récit de la Passion à propos de Juda sen Lc 22,3: «Satan entra en Judas, appeléIscariote, qui était au nombre des Douze» puis par Jésus lui-même à propos de Simon-Pierre en Lc 22,31«Simon, Simon, voici que Satan vous réclamés pour vous passer au crible comme le blé.» À cela il convient d’ajouter que, dans le récit de l’agonie à Gethsémani, Jésus enjoint par deux fois à ses disciples de «prier pour ne pas entrer en tentation (peirasmon en grec)» (Lc 22,40.46) Il semble donc qu’au moment de la passion de Jésus, ce soit en premier lieu les disciples de Jésus qui sont soumis à la tentation par Satan. Saint Luc nous montre même que dans d’entre eux y succombent, Judas qui, pour de l’argent, propose de livrer Jésus aux grands-prêtres et chefs des gardes et Pierre, qui pour sauver sa vie, renie par trois fois son maître. Toutefois, Pierre contrairement à Judas, revient à Jésus. La tentation à laquelle succombe Judas correspond à la première tentation de notre évangile puisqu’elle amène à l’acquisition d’un bien matériel de l’argent, contre le fait de livrer Jésus. On pourrait dire que judas s’approprie Jésus, il transforme sa relation avec Jésus en de l’argent pour lui.

Les disciples ne sont pas les seuls à être mis à l’épreuve par le diable dans le récit de la passion de saint Luc. À ceux qui sont venus pour l’arrêter, Jésus déclare: «Chaque jour, j’étais avec vous dans le Temple, et vous n’avez pas porté la main sur moi. Mais c’est maintenant votre heure et le pouvoir des ténèbres.» L’expression «pouvoir des ténèbres» suggère que ceux qui viennent arrêter Jésus sont, comme Judas, aux mains du diable, que leur action a en quelque sorte un caractère diabolique. Et de fait, me semble-t-il, les anciens et chefs de prêtres, dans la suite du récit de la passion, mettent à l’épreuve de la même manière dont le diable a mis Jésus à l’épreuve Jésus au désert. Le premier personnage qu’ils mettent à l’épreuve est Pilate. Celui-ci déclare d’abord qu’il n’a pas trouvé chez sus de «motif de condamnation» (Lc 23,14) et qu’il a donc l’intention de le relâcher (Lc 23,16). Face aux demandes de crucifier Jésus, il déclare à nouveau son intention de les relâcher (Lc 23,22) puis devant l’insistance de ses interlocuteurs il leur livre Jésus. En quelque sorte les grands prêtres et les chefs du peuple mettent à l’(épreuve Pilate, va-t-il maintenir une décision conforme à la justice ou céder à la tentation de conforter son pouvoir à l’encontre de la justice? Cette misé à l’épreuve de Pilate correspond à la deuxième à la deuxième tentation à laquelle le diable soumet Jésus dans notre texte. Et contrairement à Jésus Pilate succombe à la tentation. Il accepte de donner raison à la foule et de commettre sciemment une injustice pour préserver son pouvoir.

Enfin, nous l’avons déjà noté les moqueries à l’égard de Jésus en croix s’apparentent à la troisième tentation proposée par le diable dans notre texte. Mais Jésus, lui, ne succombe pas à la tentation.

La conclusion de notre texte nous invite à examiner le lien de celui-ci avec le récit de la passion. De fait la passion apparaît comme un moment où le diable est particulièrement actif, où il met à l’épreuve, les disciples, le gouverneur roman Pilate et Jésus lui-même. Jésus est le seul à ne pas succomber à la tentation.


Méditation du samedi: Les trois tentations et les trois réponses du Christ


En conclusion de notre étude sur le récit de la mise à l’épreuve de Jésus par le diable, nous voudrions souligner d’une part que ces tentations diaboliques demeurent tout à fait actuelles et d’autre part que Jésus propose au cours de son ministère publique et surtout au moment de sa passion résurrection à chacune de ces tentations une alternative. Nous allons le faire en reprenant chacune des trois propositions diaboliques.

La première proposition du diable consiste à transformer une pierre en pain. On pourrait dire que ce que le Diable a proposé de Jésus de faire ici, l’homme moderne l’a amplement réalisé. En effet, depuis deux siècles, les hommes ont libéré l’énergie contenu dans des combustibles fossiles sous forme de pierre (charbon) ou de liquide (pétrole) et cette énergie a permis une hausse considérable de la production agricole et industrielle. Elle a permis de nourrir une population mondiale en croissance exponentielle au cours de ces deux derniers siècles. Toutefois cette croissance à ses revers dont nous nous rendons de plus en plus compte aujourd’hui. D’abord nous avons consommé en deux siècles des réserves que la nature avait mis des millénaires à constitué et il est patent que nous ne pourrons pas continuer très longtemps sur le même rythme de croissance, les ressources énergétiques menaçant de s’épuiser. Ensuite la combustion de ces énergies fossiles a entraîné le rejet dans l’atmosphère d’une quantité très importante de dioxyde de carbone qui semble par avoir un rôle majeur dans le réchauffement climatique actuel. À cette logique de l’appropriation Jésus propose comme alternative le partage de ses biens, partage qu’il met en ouvre dans le miracle du partage et de la distribution des pains où il nourrit une foule considérable avec cinq pains et deux poissons suggérant qu’un partage, une répartition juste des ressources permet de nourrir une foule considérable sans procéder à une augmentation des ressources qui ne peut être de toute manière illimitée. Lors de son dernier repas avec ses disciples, Jésus va encore plus loin dans la logique du partage puisqu’il leur donne son propre corps en nourriture. L’eucharistie est le sommet de la logique du partage, mais elle est aussi action de grâces car le don suppose au préalable de rendre grâce à Dieu pour les biens à nos dispositions que nous pouvons partager.

La deuxième proposition du Diable est de nous donner une domination universelle si nous acceptons de nous prosterner devant lui. L’invasion de l’Ukraine par les troupes russes nous montre que les hommes d’aujourd’hui sont toujours tentés d’accroître leur domination sur de nouveaux territoires même si c’est en ayant recours à la violence. Mêmes les dominations apparemment plus pacifiques n’excluent pas recours à la force armée si nécessaires. Saint Luc avait bien que la pax romana , la paix romaine que connaissait son temps était fondée sur la puissance des légions. À cette logique de la domination fondée sur la force, Jésus oppose la prédication dans tout l’univers d’une bonne nouvelle qui n’est pas imposée mais proposée à tous. De son vivant il envoie en mission les douze apôtres puis soixante-douze disciples. À leur retour de mission se réjouissent de voir les démons qi leurs sont soumis et Jésus leur répond:» Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair.» La prédication de la Bonne Nouvelle se révèle être la meilleure réponse à la prétention du diable de dominer toute la terre. Après la mort de Jésus cette prédication prend une valeur universelle puisque les disciples sont appelés à témoigner dans le monde entier. Et de fait le livre des actes des Apôtres, second ouvrage de saint Lu, s’achève par l’arrivé de Paul à Rome, capitale du monde païen. Nous sommes invités aujourd’hui encore à proposer gratuitement l’évangile à notre monde contemporain comme un force de transformation pour échapper aux logiques de domination

La dernière proposition du Diable est d’échapper miraculeusement à la mort par une intervention divine. Les miracles n’ont plus forcément bonne presse aujourd’hui mais en revanche la perspective d’échapper à la mort continue de séduire les hommes. Se développe dans notre monde contemporain la croyance que le développement de la technologie permettrait de poursuivre la vie de manière quasi-infinie. Les sommes considérables consacrés à la recherche en la matière montre qu’il ne s’agit pas aux yeux des leurs promoteurs de vague rêverie mais d’une possibilité réelle. Elle n’en demeure pas moins problématique car même si cette possibilité technique était avérée – ce qui est encore loin d’être le cas – elle demeurerait, du fait de son coût et de sa complexité, réservée à une élite de privilégiés fortunés. À cette logique d’une survie infinie, Jésus propose pour l’alternative la résurrection non pas l’ajournement perpétuel de la mort mais le dépassement de celle-ci. Jésus indique par les miracles de résurrection qu’il accomplit de son vivant mais surtout par sa propre résurrection que la mort n’est pas la fin de tout, mais qu’elle est un passage vers un au-delà vers un vie nouvelle qui est autre chose que le simple prolongement infini de notre vie terrestre.

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