Evangile du dimanche

Méditer sept jours avec l’évangile du dimanche:

évangile du quatrième dimanche de Pâques

Année B

(Jn 10, 11-18)


Méditation du dimanche:

Présentation du texte de l’évangile


Chaque année, le quatrième dimanche de Pâques est la journée mondiale de prière pour les vocations. Et au cours de ce dimanche est lu un passage de l’évangile selon saint Jean qui se rapporte à l’image du Bon Pasteur. En effet, au chapitre10 de cet évangile Jésus prononce deux paroles où il se compare à un berger. La première de ces deux paroles, la plus longue constitue le début du chapitre 10 du v. 1 à 18. Dans l’évangile selon saint Jean cette parole suit immédiatement le récit de la guérison de l’aveugle de naissance qui constitue le chapitre 9. On peut d’ailleurs relever que dans les réactions des Juifs à ces paroles qui sont rapportées en Jn 10,19-21, la partie des Juifs favorables à Jésus fait référence à cette guérison: « D’autres disaient: Ces paroles ne sont pas celles d’un possédé…Un démon pourrait-il ouvrir les yeux des aveugles.» Ce bref discours de Jésus s’ouvre par une sorte de parabole ou pour employer le vocabulaire johannique, une image (paroimia en grec) (v. 1-5) dans laquelle Jésus décrit une bergerie où des voleurs cherchent à pénétrer en escaladant le mur. Seul le berger entre par la porte et c’est lui qui fait sortir les brebis. Ensuite Jésus présente en quelques sortes deux interprétations différentes de cette image en s’identifiant lui-même à l’une des figures présentes dans cette image se définit comme la porte au v. 7 « Moi je suis la porte des brebis » puis comme le « bon berger » au v. 11 « Moi je suis le bon pasteur, le vrai berger » Dans les V. 11 à 18 qui constitue le texte de l’évangile de ce dimanche, Jésus s’identifie donc au vrai berger. Il commence dans une première unité délimitée par la reprise de l’expression « Moi je suis le bon pasteur » (v; 11-15) par opposer les bergers mercenaires qui n’ont pas vraiment soin du troupeau au bon pasteur prêt à donner sa vie pour le troupeau qu’il incarne., puis au v. 16 Jésus évoque la réunion de différents troupeaux sous un seul et unique pasteur. Enfin au v. 17-18, il reprend et développe le motif du don de sa vie en soulignant la liberté souveraine avec la quelle il dispose de sa vie qu’il est maître de donner puis de reprendre.

Notre texte se caractérise par la présence de la formule « Moi je suis », egô eimi en grec, suivi d’un déterminant. Cette formule est très courante dans l’évangile selon saint Jean. Employée de manière absolue sans déterminant la formule egô eimi (Moi, je suis) peut renvoyer au nom divin révélé à Moïse en Ex 3,14 et repris dans le livre de la consolation d’Israël qui constitue la deuxième partie du livre d’Isaïe notamment en Is 43,10 où le Seigneur s’adresse à Israël en ces termes: « Vous êtes mes témoins – oracle du Seigneur – vous êtes mon serviteur celui que j’ai choisi pour que vous sachiez, que vous croyiez en moi et compreniez que moi, 'Je suis'.» L’allusion au nom divin est très probable en Jn 18,5 au moment de l’arrestation de Jésus lorsque esr gardes venus pour l’arrêter reculent et tombent à terre lorsque Jésus leur répond « C’est moi » (egô eimi);: leur mouvement de recul signifie certainement l’effroi devant le nom divin. L’allusion est moins directe lorsque la formule egô eimi est suivi d’un déterminant puisque Dieu n’est pas tel ou tel chose il EST tout simplement. L’emploi de la formule «moi je suis»suivi d’un déterminant me paraît donc une manière de définir des caractéristiques de Jésus tout en suggérant qu’il est le Seigneur. Cette formule apparait au chapitre 6 dans le discours sur le pain de vie où Jésus déclare par deux fois «Moi, je suis le pain de la vie» (Jn 6,35. 48) et une fois «Moi, Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel» (Jn 6,51; cf. 6,42)!au chapitre 8, après l’épisode de la femme adultère, Jésus déclare «Moi, je suis la lumière du monde» (Jn 8,12). Au chapitre 10 expliquant l’image du berger il déclare successivement «Moi je suis la porte des brebis» (Jn 10,7) puis par deux fois «Moi, je suis le bon pasteur» (Jn 10,11.14). Dans le récit de la résurrection de Lazare, Jésus déclare à Marthe, «Moi, je suis la résurrection et la vie» (Jn 11,25). Au cours du dernier entretien avec ses disciples après leur avoir lavé les pieds, Jésus répondant à une question de Thomas déclare «Moi, je suis le Chemin, la Vérité, et la Vie» ( Jn14,6) puis un peu plus tard au cours du même entretien, il répète par deux fois «Moi, je suis la vraie vigne» (Jn 15,1.5). Parmi les déterminants employés par Jésus pour se définir certains correspondent à des images fréquemment employées dans l’Ancien testament; c’est le cas du «bon berger.»


Méditation du lundi:

L’image vétérotestamentaire du berger


L’image du troupeau de bêtes – le terme grec probaton est un neutre qui désigne toute tête de petit bétail – pour désigner Israël est déjà présente dans des textes historiques et prophétiques: les bergers désignent alors les dirigeants du peuple ainsi David s’exclame-t-il en 2 Sm 24,17 devant la peste qui frappe son peuple: «C’est moi qui ai péché, c’est moi qui suis coupable; mais ceux-là qu’ont-ils fait?» En 1 R 22,17, le prophète Michée annonçant la mort du roi d’Israël emploie la métaphore des brebis privées de pasteurs: «J’ai vu tout Israël dispersée sur la montagne comme des brebis sans berger.» Le prophète Jérémie recourt fréquemment à cette métaphore pour dénoncer le comportement des mauvais bergers que sont les dirigeants du peuple d’Israël: ainsi en Jr 10,21: «En effet les pasteurs sont stupides, ils n’ont pas consulté le Seigneur. C’est pourquoi il manque d’intelligence et toute leur troupeau est dispersé.» ou en Jr 50,6: «Les gens de mon peuple étaient des brebis perdues: ceux qui étaient leurs bergers les avaient égarées, ils les avaient laissées errer dans la montagne; elles allaient de montagne en colline, elles avaient oublié leur bercail.» En même temps Jérémie délivre un message d’espoir, le Seigneur va donner à son peuple de nouveaux bergers. Ainsi en Jr 3,15: «Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur: ils vous conduiront avec sagesse et intelligence.» C’est en Jr 23,1-4 que le prophète développe l’image de la manière la plus complète et la plus cohérente: Dieu, après avoir dénoncé la conduite des mauvais pasteurs, annonce qu’il va lui-même rassembler les brebis puis confier le troupeau à de nouveaux pasteurs:

Quel malheur pour vous, pasteurs! Vous laissez périr et vous dispersez les brebis de mon pâturage – oracle du Seigneur! C’est pourquoi, ainsi parle le seigneur, le Dieu d’Israël, contre les pasteurs qui conduisent mon peuple: Vous avez dispersés mes brebis, vous les avez chassées, et vous ne vous êtes pas occupés d’elles. Eh bien! Je vais m’occuper de vous, à cause de la malice de vos actes – oracle du Seigneur. Puis, je rassemblerai moi-même le reste de mes brebis de tous les pays où je les ai chassées. Je les ramènerai dans leur enclos, elles seront fécondes et se multiplieront. Je susciterai pour elles des pasteurs qui le conduiront; elles ne seront plus apeurées, ni effrayées, et aucune ne sera perdue – oracle du Seigneur.»

L’idée que le Seigneur lui-même va se comporter en berger pour son peuple se retrouve dan au début de la deuxième partie du livre d’Isaïe, le livre de la consolation d’Israël, pour décrire l’action du Seigneur au moment du retour d’exil: «Comme un berger il fait paître son troupeau, son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent.» (Is 40,11) . La même image est utilisée en Si 18,13: «L’homme a pitié de son prochain; le Seigneur, lui, a pitié de toute créature. Il corrige, il instruit, il enseigne: comme un berger, il fait revenir son troupeau.»

Toutefois c’est au chapitre 34 du livre du prophète Ézékiel que l’image d’Israël comme troupeau est développée le plus longuement. Dans un premier temps, v. 1 à 10 le Seigneur dénonce l’attitude des mauvais bergers, les dirigeants du peuple qui ont maltraité le troupeau et leur annonce qui leur retire leur charge. Dans un second temps v. 11 à 16; le Seigneur annonce qu’il va s’occuper lui-même du troupeau, rassembler les brebis d’Israël et les ramener sur les monts d’Israël. Dans un troisième temps, v. 17-22, le Seigneur annonce qu’il jugera entre brebis et brebis, puisque les brebis grasses maltraitent les brebis faibles; dans un cinquième temps, en Ez 34,23-25, le Seigneur annonce que son serviteur David sera l’unique berger de son peuple. Enfin dans la dernière partie du texte, Ez 34,26-31 Le Seigneur annonce qu’il assurera la sécurité de ces brebis.

L’image du troupeau de brebis pour désigner Israël est donc apparue dans la littérature prophétique d’abord pour dénoncer le mauvais comportement des dirigeants du peuple, les mauvais bergers qui ne s’occupent pas des brebis mais les exploitent à leur profit. Plus tard au temps de l’exil à Babylone est apparue l’idée que c’est le Seigneur lui-même qui jouerait le rôle du berger et ramènerait en Israël les brebis dispersées parmi les nations. À cela s’ajoute chez le prophète Ézékiel l’idée proprement messianique qu’un descendant de David, le Messie, deviendra le berger unique du peuple et paîtra le troupeau dans la paix garantie par Dieu.


Méditation du mardi:

Le berger mercenaire


Les v. 11 à 15 de notre texte opposent deux figures de berger d’une part «le bon berger» (kalos poimèn en grec) et, d’autre part, le berger mercenaire (misthôtos poimèn en grec). Le «bon berger» est d’abord présenté au v. 11 puis, les v. 12 et 13 décrivent le comportement du berger mercenaire avant que les verstes 14 et 15 reviennent sur le bon berger. La description du bon berger encadre celle du berger mercenaire. On a l’impression que l’évocation du berger mercenaire n’a pour fonction que de mettre en valeur par contraste la description du bon berger. Étudions néanmoins cette brève évocation du berger mercenaire. Le terme «mercenaire» a en français une connotation péjorative que n’a pas obligatoirement le grec misthôtos qui signifie simplement salarié. Ainsi misthôtos est employé en Mc 1,20 pour désigner les salariés de Zébédée, le père de Jacques et de Jean. Dans notre texte misthôtos signifie que le berger n’est pas le propriétaire des brebis mais un salarié engagé par un ou des propriétaires pour accomplir cette tâche. L’attitude ici reprochée au berger mercenaire est de s’enfuir quand s’approche le loup et de ne pas protéger les brebis. La critique que Jésus formule ici à l’encontre du berger mercenaire s’inscrit dans la tradition prophétique de la critique des mauvais bergers que sont les dirigeants du peuple d’Israël.

On peut notamment relever des points communs avec le chapitre 34 du prophète Ézékiel. Ainsi en Ez 34,5, le prophète décrivait ainsi la situation des brebis: «elles se sont dispersées, faute de berger pour devenir la proie des bêtes sauvages.» Jésus paraît se souvenir de ce verset lorsqu’il décrit l’attitude du berger mercenaire et ses conséquences pour le troupeau: «s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit; le loup s’en empare et les disperse.» Dans les deux cas l’absence du berger entraîne la dispersion des brebis et en fait la proie des bêtes sauvages. On peut toutefois relever une différence entre les deux textes. Dans la prophétie d’Ézékiel, la dispersion précède la venue des bêtes sauvages alors que dans la parole de Jésus, c’est le loup qui disperse les brebis. Comment interpréter cette différence? Outre que c’est réellement la méthode des loups de disperser un troupeau pour en isoler les bêtes les plus faibles, l’ordre choisi dans la parole de Jésus met l’accent sur la dispersion comme le principal danger que court le troupeau; cette insistance sur la dispersion correspond à l’accent mit dans la suite du texte sur l’unité sous un seul pasteur.

Par ailleurs on peut aussi rapprocher la critique formulée par le Seigneur contre les bergers en Ez 34,8 «parce qu’ils sont bergers pour eux-mêmes au lieu de l’être pour mon troupeau» de ce que dit Jésus du berger mercenaire» pour lequel «les brebis ne comptent pas vraiment.» Même si l’emploi du mot misthôtos pour désigner le «mauvais» berger paraît être une nouveauté introduite par Jésus dans ce discours rapporté par saint Jean, les mauvais comportements qu’il dénonce, peu d’intérêt pour les brebis, abandon de celle-ci en cas de danger, avaient déjà été stigmatisés par les prophètes notamment Ézékiel.

Essayons maintenant de passer à l’interprétation de l’image et de voir à qui renvoient les figures du berger mercenaire et du loup. L’interprétation de la figure du «berger mercenaire» ne pose aucune difficulté. Dans les textes prophétiques dont s’inspire ici saint Jean et notamment en Ez 34, les mauvais bergers désignent clairement les dirigeants du peuple d’Israël. Il en est de même ici même si cela n’est pas dit explicitement. La mention d’après laquelle «les brebis ne sont pas à lui» suggère que le véritable propriétaire des brebis n’est autre que Dieu lui-même. L’interprétation de la figure du loup est plus complexe puisqu’ici le texte d’Ézékiel n’est pas plus explicite lorsqu’il évoque les bêtes sauvages. Le remplacement dans le texte de saint Jean du pluriel «les bêtes sauvages» par le singulier «le loup» peut toutefois fournir un indice. Cela pourrait suggérer que le loup renvoie au «prince de ce monde» dont Jésus évoque la venue lors de son dernier entretien avec ses disciples (Jn 14,30).


Méditation du mercredi:

Le bon pasteur


À l’opposé du berger mercenaire, Jésus dresse le portrait du bon pasteur, auquel il s’identifie bon pasteur a deux caractéristiques. La première qui est répétée au début et à la fin de la section opposant bon berger et berger mercenaire est qu’il donne sa vie pour ses brebis. L’importance de ce motif est telle qu’outre sa reprise au v. 11 et au v. 15 il sera repris et développé au V. 18. On pourrait dire que l’essence même du bon pasteur est de «donner sa vie pour ses brebis». «Donner sa vie pour ses brebis» est la traduction proposée par le texte liturgique pour l’expression grecque tithèmi tèn psuchèn autou hyper tôn probatôn. Chacun des termes de cette expression mérite attention. Le verbe tithèmi signifie au sens propre «déposer» «remettre» Le verbe «donner» en grec serait didômi. Plus que d’un don il s’agit d’une remise, d’une déposition. Le substantif psyché désigne au sens propre le «souffle de vie» et par extension il peut désigner «l’âme» ou la «vie individuelle. Dans l’évangile selon saint Jean, psychè a souvent ce sens de «vie individuelle» d’existence personnelle de l’individu et s’oppose à zôè qui désigne la vie en tant que don de Dieu. Pour marquer la différence avec zôè et aussi pour donner une traduction unique qui puisse convenir pour les passages où psychè est ordinairement rendu par âme et ceux où il l’est par vie, je proposerai de traduire psychè par «être» ou «existence» . La préposition hyper traduite en français par «pour» a d’abord un premier sens local «au-dessus de» puis un sens dérivé «pour la défense de» et quelque fois «à la place de». Dans ces deux acceptions, hyper est traduit en français par «pour» Dans notre texte le sens ««pour la défense de» paraît s’imposer. Enfin il convient de noter que le substantif traduit par «brebis» est un terme générique qui désigne toutes les têtes de petit bétail ovins ou caprins. L’expression «tithèmi tèn psychène autou hyper tôn probatôn» pourrait donc se traduire plus exactement «remettre son existence pour la défense de ses bêtes». On peut relever que l’expression tithèmi tèn psychèn autou est aussi employé au cours du dernier entretien de Jésus avec ses disciples. D’une part en Jn 13,37 Pierre affirme «Je donnerai ma vie pour toi» à quoi Jésus réplique en annonçant son triple reniement. Puis Jn 15,13, Jésus affirme «qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis». Jésus met en œuvre ce principe au moment de son arrestation où il s’efforce de protéger ses disciples. Dans le récit de saint Jean, c’est lui-même qui demande à ceux qui viennent l’arrêter «qui cherchez-vous?» et il ajoute «si c’est bien moi que vous cherchez, ceux-là laissez-les partir» (Jn 18,8).

La deuxième caractéristique du bon berger est «qu’il connaît ses brebis». Le motif de la connaissance mutuelle de Jésus et de ses disciples se trouve en conclusion du discours du le pain de vie. En Jn 6,64, l’évangéliste souligne la connaissance que Jésus a de ses disciples depuis le début: «Jésus savait en effet depuis le commencement quels étaient ceux qui ne croyaient pas et celui qui le livrerait.» En Jn 6,69, la réponse de Simon-Pierre à la question de Jésus «Voulez-vous partir vous aussi?» souligne que les disciples connaissant Jésus, et savent qui il est: «quant à nous, nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu». Dans notre texte Jésus va plus loin puisqu’il met en parallèle la connaissance mutuelle du berger et des brebis avec celle du Père et du Fils. Le lien entre Jésus et ses disciples est comparable à celui du Père et du Fils. Ce motif va être approfondi par Jésus au cours de son dernier entretien avec ses disciples jusqu’à arrivé à l’idée de l’inhabitation mutuelle du Père du Fils et des disciples en Jn 14,20: «En ces jours-là vous reconnaîtrez que je suis en mon Père , que vous êtes en moi et moi en vous.»


Méditation du jeudi:

Les autres brebis


Au v. 16 Jésus évoque «les autres brebis qui ne sont pas cet enclos»; On peut dire que cette évocation à la fois s’inscrit dans une certaine continuité par rapport à la tradition prophétique et à la fois constitue une certaine nouveauté. La continuité se situe dans le motif du rassemblement: en Ez 34,13, le Seigneur déclarait ««comme un berger veille sur les brebis de son troupeau quand elles sont dispersées, ainsi je veillerai sur mes brebis, et j’irais les délivrer dans tous les endroits où elles ont été dispersées un jour de nuages et de sombres nuées.» Toutefois pour Ézékiel, les brebis dispersées en question étaient les israélites exilés tant ceux du royaume du nord déportés par les Assyriens que ceux du royaume de Juda déportés par Nabuchodonosor. Or il semble que Jésus, dans l’évangile selon saint Jean, «les brebis qui ne sont pas de enclos» désignent non seulement les Juifs de la diaspora mais aussi les païens. L’idée que Jésus rassemble au-delà du peuple juif est formulée à deux autres reprises dans l’évangile selon saint Jean où elle est mise en rapport étroit avec la mort de Jésus. En Jn 11,52, commentant la formule par laquelle le grand-prêtre Caïphe justifie la décision de faire mourir Jésus,»il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple», l’évangéliste ajoute «Et ce n’était pas seulement pour la nation, c’était afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés.» Dans ce verset, la formule «les enfants de Dieu» peut être interprétée de deux manières différentes se rapportant soit aux soit lue de manière plus large. En Jn 12,32, alors que des Grecs ont demandé à le voir, Jésus déclare: «Et moi, quand j’aurais été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes». Ici la formule ««tous les hommes» lève tout ambiguïté et Jésus indique clairement que, par sa mort, il va rassembler au-delà du peuple juif et attirer des gens venus des nations. À la lumière de Jn 12,32 on peut donc considérer que, dans notre texte, lorsque Jésus évoque les «brebis qui ne sont pas de cet enclos» il ne pense pas (qu’) aux Juifs de la diaspora mais aussi à des croyants venus des autres nations. La mort de jésus va ouvrir la possibilité d’un rassemblement qui dépasse les frontières de l’Israël biblique et qui prend de l’humanité entière. C’est la même qui est exprimée par saint Paul dans la Lettre aux Ephésiens (Ep 2,14): «Des deux le Juif et le Païen il a fait une seule réalité, il a détruit ce qui les séparait le mur de la haine.»


Méditation du vendredi:

le pouvoir de la déposer et de la reprendre.


Les deux derniers versets de notre texte reviennent sur le motif du de la remise de sa psychè par Jésus en mettant en parallèle cette déposition avec la «reprise» ou la «nouvelle réception» de cette psyché. D’après la nouvelle traduction officielle liturgique: Jésus déclare «Je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau.» «Recevoir » traduit le verbe grec très courant lambanô qui peut signifier selon le contexte «prendre» ou «recevoir». L’ancienne traduction liturgique conformément à la grande majorité des traductions françaises avait choisi le sens de «prendre» et avait traduit «Je donne ma vie pour la reprendre de nouveau.» Quelle est alors la meilleure traduction? Il me semble que c’est la mise en opposition des deux verbes tithèmi et lambanô qui permet dans le cas présent de déterminer le sens du deuxième verbe. Si l’on considère que tithèmi signifie au sens premier «déposer»,» remettre», il me semble que l’opposé naturel est plutôt «recevoir à nouveau» que «reprendre» c’est-à-dire que dans le couple «remettre» / «recevoir», il y a plutôt une idée de laisser-faire de remise à une volonté supérieure. Le choix des traduire laabâno par recevoir serait donc justifié si la traduction liturgique avait rendu tithèmi par «remettre» mais dans la mesure où tithèmi a été traduit par «donner» il aurait été plus cohérent de traduire lambâno par «prendre», le couple «donner» /«prendre» dénotant plutôt une action volontaire. La bonne de traduction aurait été nous semble-t-il «Je remets mon être (ou mon existence) pour le recevoir à nouveau».

La suite du texte précise le sens du verbe tithèmi («remettre») en l’opposant à «enlever». Jésus souligne ainsi que la «perte de sa vie est librement acceptée et non contrainte. Jésus précise d’ailleurs d’après la traduction liturgique:»J’ai le pouvoir de la donner et le pouvoir de la recevoir de nouveau». «Pouvoir» traduit ici le substantif grec exousia, formé sur exestin, forme impersonnel du verbe exeimi qui signifie il est permis, il est possible. L’exousia est donc au sens premier, la permission, la possibilité, la liberté de faire quelque choseplutôt que le pouvoir qui en grec se dirait plutôt dynamis. Dans notre texte le sens de liberté ou nous paraît d’ailleurs adapté que celui de pouvoir. En effet le pouvoir désigne me semble-t-il la capacité d’imposer quelque chose à un autre alors que la liberté est la capacité de disposer de soi-même. Jésus ne prétend ici exercer aucun pouvoir mais seulement avoir la libre disposition de sa vie, de son existence. Ici l’exousia désigne sa liberté souveraine face à sa propre existence sur laquelle la mort elle-même n’a pas de pouvoir. L’exousia ne consiste pas à exercer un pouvoir mais à être pleinement libre au point qu’aucun pourvoir ne s’exerce sur lui. en cela elle s’oppose à l’exousia de Pilate. En Jn 19,10, Pilate déclare: «Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir (exousia ) de te relâcher, et pouvoir de te crucifier?» à quoi Jésus répond «Tu n’aurais aucun pouvoir (exousia) sur moi si tu ne l’avais reçu d’en-haut» (Jn 19,11). En Jn 19, 10-11, la traduction d’exousia par pouvoir semble apparemment justifié puisqu’il s’agit bien d’une capacité d’imposer quelque chose à un autre dont Pilate prétend disposer. Mais Jésus souligne que ce pouvoir que Pilate n’est souverain qu’en apparence puisqu’il est reçu d’en-haut. Pilate n’a de pouvoir sur Jésus que parce que Dieu lui autorise. La véritable exousia est al liberté de Jésus qui remet librement sa pysché et la reçoit librement après sa mort, et non celle de Pilate qui prétend avoir droit de vie et de mort sur Jésus. On peut d’ailleurs qu’étymologiquement exousia est formée de ousia, participe substantivé du verbe eimi, le verbe être, et de la préposition ex qui désigne un mouvement vers l’extérieur. L’exousia, d’un point de vue étymologique, c’est ce qui sort de l’être. L’exousia de Jésus est la liberté souveraine qui émane de son être divin que lequel s’exerce aucune contrainte, aucune emprise et qui ne prétend lui-même exercer ni contrainte ni emprise.

Notre texte se con conclut d’une manière qui peut paraître curieuse: Jésus présente sa liberté de remettre et de recevoir sa psychè comme un commandement du Père. Il se semble tout d’abord que cette mention d’un commandement (entolè) justifie le choix de traduire exousia par liberté. Jésus accepte librement de remettre sa vie par obéissance au Père sachant qu’il a la liberté de la recevoir à nouveau. Par ailleurs cette mention de commandement peut mieux se comprendre à la lumière d’un propos tenu par Jésus lors de son dernier entretien avec ses disciples en Jn 14,30-31: «Désormais, je ne parlerai plus beaucoup avec vous, car il vient le prince du monde. Certes, sur moi, il n’a aucune prise, mais il faut que le monde sache que j’aime le Père, et que je fais comme le Père me l’a commandé.» Bien que le diable n’ait pas le pouvoir sur lui, Jésus accepte de remettre sa vie par obéissance à son Père et pour le monde connaisse l’amour qui unit le Père et le Fils.


Méditation du samedi:

Berger et brebis


Je voudrais élargir quelque peu la perspective en replaçant l’image du berger et des brebis dans le contexte plus général de l’évangile selon saint Jean d’abord puis dans l’ensemble du texte biblique par la suite.

L’évangile selon saint Jean présente un paradoxe qui pourrait passer inaperçu. Au début de l’évangile Jésus est présenté par deux fois par Jean le Baptiste comme l’agneau de Dieu en Jn 1,29: «Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde» puis en Jn 1,35: «Voici l’Agneau de Dieu». Puis, au chapitre 10, comme nous le venons de voir, Jésus se présente lui-même comme «le bon pasteur», le vrai berger». Dans les deux cas c’est la même métaphore pastorale qui est employée. Pourtant le rôle attribué à Jésus est très différent; dans le premier cas, il est l’Agneau, le petit, la bête la plus fragile du troupeau, dans l’autre il est celui qui guide le troupeau et prend de toutes les bêtes qui le constitue. On ne peut nier qu’il existe une certaine tension entre ces deux figures appliquées à Jésus. Il ne faudrait toutefois pas interpréter cette tension comme une maladresse de l’autre du quatrième évangile. Cette tension est en effet pleinement assumée dans une autre œuvre sinon par le même auteur, du moins par quelqu’un de la même école de pensée, l’Apocalypse de saint Jean, dans laquelle on trouve cette formule pour le moins paradoxale «l’Agneau qui se tient au milieu du trône sera leur pasteur pour les conduire aux sources des eaux vives» (Ap 7,17) Pour l’école johannique Jésus est tout à la fois l’Agneau et le Pasteur, il est d’abord l’Agneau avant d’être le Pasteur et l’on pourrait même dire qu’il est le pasteur parce qu’»il est d’abord l’Agneau. La principale caractéristique du bon pasteur selon saint Jean «remettre son existence» est aussi celle de l’Agneau qui remet son existence pour enlever le péché du monde.

Cette perspective johannique du Christ comme Agneau et Berger remettant sa vie se retrouve de manière plus large dans le texte biblique. Je voudrais ici la rapprocher de ce qui est dit de Jésus à la fin de la lettre aux Hébreux: «Que le Dieu de la paix lui qui a fait remonter d’entre les morts, grâce au sang de l’Alliance éternelle, le berger des brebis, le Pasteur par excellence, notre Seigneur Jésus.» Pour bien comprendre cette formule, il convient de la rapprocher de ce qui est dit de Moïse en Is 63,11:«Et l’on se souvint des jours d’autrefois de Moïse et de son peuple. Où est-il, celui qui les fit remonter de la mer, avec le pasteur de son troupeau?» Pour Isaïe c’est Dieu qui a fait remonter des eaux de la mer Moïse, pasteur du troupeau et l’ensemble du peuple d’Israël à sa suite. Reprenant cet image l’auteur de la lettre aux Hébreux indique que c’est Dieu qui a fait remonter Jésus, le pasteur du troupeau de la mort. Il suggère, sans le dire, que le peuple des fidèles de Jésus va franchir la mort comme son berger et atteindre la vie éternelle. le passage par la mort et al résurrection de Jésus ouvre la voie à al résurrection des fidèles du Christ. Jésus le berger qui guide son troupeau au-delà de la mort vers les pâturages de la vie éternelle.

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