Méditer sept jours avec l’évangile du dimanche :
trentième dimanche du temps ordinaire.
Année C
(Lc 18, 1-8)
Méditation du dimanche : Quelle prière nous rend juste ?
En ce trentième dimanche du temps ordinaire de l’année C, la liturgie nous propose la courte parabole du pharisien et du publicain, au chapitre 18 de l’évangile selon saint Luc. Venant juste après la parabole du juge inique et de la veuve importune que nous avons lue la semaine dernière, ce texte constitue en quelque sorte le deuxième volet d’un enseignement en paraboles de Jésus sur la prière propre à l’évangile selon saint Luc. Après avoir, la semaine dernière, encouragé les disciples à « prier toujours sans se décourager», Jésus explique cette semaine quelle attitude adopter dans la prière.
Notre texte, comme la séquence qui précède, se compose de trois parties :
Dans l’introduction, Luc nous précise que celle-ci est dite « à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes ».Or, le terme « juste » se retrouve dans la conclusion que Jésus donne à la parabole : « je vous le déclare : quand ce dernier redescendit dans sa maison, c’est lui qui était devenu un homme juste plutôt que l’autre. »Le mot « juste » forme donc ce que l’on appelle en terme technique une inclusion (du moins dans la traduction française puisqu’en grec, à la fin de la parabole ce n’est pas le terme juste qui est employé mais le verbe justifier). Le rappel du thème de la justice au début et à la fin du texte en souligne l’importance. L’enjeu de la prière, telle qu’il est défini dans cette parabole, est de « nous rendre juste ». Quelle prière peut nous rendre juste ? Telle est la question posée ici et à laquelle cette parabole entend répondre.
Méditation du lundi : ceux qui sont convaincus d’êtres justes
Mais répondre à cette question suppose que l’on se mette tout d’abord d’accord sur la signification de l’adjectif « juste ». Regardons l’emploi de ce terme dans l’évangile selon saint Luc. D’une part, au singulier, l’adjectif juste (dikaios) est employé pour qualifier divers personnages, Zacharie et Élisabeth (Lc 1,6), Syméon (Lc 2,35), Jésus lui-même (Lc 23,47) et Joseph d’Arimathie (Lc 23,50). À propos de Zacharie et d’Élisabeth, Luc précise « ils étaient l’un et l’autre justes devant Dieu ».Leur justice est donc constatée par Dieu. Il en va tout différemment des destinataires de notre parabole « qui sont convaincus d’être justes » Ici leur justice n’est pas constatée par Dieu c’est eux-mêmes qui se considèrent comme « justes ». On peut d’ailleurs noter que le verbe grec traduit par « sont convaincus»est une forme moyenne qui en français peut se traduire « qui se sont convaincus». D’autre part, au pluriel, le terme « juste » paraît désigner une catégorie de personnes.
Ce terme est opposé au terme « pécheur » en des passages où Jésus et même Dieu le Père paraissent montrer une prédilection paradoxale pour les pécheurs au détriment des justes. En Lc 5, 32, Jésus s’exprime ainsi « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs pour qu’ils se convertissent.» Au chapitre 15,7, Jésus tire de la parabole de la brebis égarée la conclusion suivante : « C’est ainsi qu’il y aura plus de joie pour un seul pécheur qui se convertit que pour quatre-vingt- dix -neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. »
Or, dans ces passages, l’opposition juste/pécheur paraît en quelque sorte recouper l’opposition pharisiens/publicains, ce qui amène à les rapprocher de notre évangile. Au chapitre 5, la parole de Jésus est adressée « [aux]pharisiens et [aux] scribes de leur parti [qui] récriminaient en disant à se disciples : "Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les publicains et les pécheurs". »(Lc 5,30). De même, la parabole de la brebis égarée prend place dans un contexte semblable : « Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : "Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !" »Dans ces passages s, Jésus ne remettait pas en cause la prétention des pharisiens à être justes. Mais ils soulignaient que les pécheurs et les publicains pouvaient aussi devenir justes par le repentir. Dans notre parabole, Jésus va plus loin en remettant en cause la « justice » des pharisiens.
Quant au verbe justifier (dikaioun) il est employé de deux manières dans l’évangile selon saint Luc selon qu’il a pour sujet des scribes et pharisiens ou des pécheurs et des publicains. Pour les scribes et Pharisiens le verbe est employé avec le pronom réfléchi eauton ; il se justifient eux-mêmes. C’est le cas au chapitre 10 à propos du scribe qui interroge Jésus : « Mais lui, voulant se justifier dit à Jésus » et de même à propos des pharisiens qu’interpelle Jésus au chapitre 16 (Lc 16 ;15): « Vous, vous êtres de ceux qui se font passer pour justes (en grec se justifient) aux yeux des gens. ». Non seulement les Pharisiens se justifient eux-mêmes mais ils se justifient non pas auprès de Dieu mais auprès des autres hommes. Cette justification devant les hommes ne leur est d’ailleurs d’aucun secours devant Dieu : « Mais Dieu connaît vos cœurs ; en effet, ce qui est prestigieux pour les hommes est une chose abominable aux yeux de Dieu. » On relever l’opposition entre ces pharisiens d’une part et Elisabeth et Zacharie d’autre part qui étaient « justes devant Dieu ». L’emploi du verbe justifier est tout autre au chapitre 7 de l’évangile de Luc lorsque Jésus à propos de Jean Baptiste s’exprime ainsi : « Tout le peuple qui a écouté Jean, y compris les publicains, en recevant de lui le baptême, a reconnu que Dieu était juste (litt. « a justifié Dieu »). »L’expression « justifier Dieu »peut paraître un peu surprenante. Mais on peut au moins retenir qu’ici la justification s’inscrit dans une relation entre l’homme et Dieu et non dans une relation purement humaine.
Ceux qui « se sont convaincus d’être juste » « méprisent les autres ». Le verbe traduit en français par « mépriser » est le verbe grec exoutheneô que Luc est le seul évangéliste à employer. Il l’utilise aussi en Lc 23,11 pour décrire l’attitude d’Hérode à l’égard de Jésus : « Hérode, ainsi que ses soldats, le traita avec mépris et se moqua de lui. » Ce terme est aussi employé en Ac 4,11 dans un discours tenu par saint Pierre devant le sanhédrin. Pierre y affirme que « Ce Jésus est la pierre méprisée de vous les bâtisseurs, mais devenue la pierre d’angle. » La verbe « méprisée » a été ici substituée qui terme « rejetée » que l’on trouve dans le Ps. 117,22 dont s’inspire la déclaration de Pierre : « la pierre d’angle qu’ont rejetée les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle ». Ce verbe « mépriser » (exoutheneô) est donc employé par Luc pour décrire le mépris, le rejet dont Jésus a été victime lors de sa condamnation à mort. En employant el même terme pour décrire le « mépris » de « ceux qui sont convaincus d’être justes » envers « les autres », Luc suggère la violence de leur sentiment, leur rejet des autres.
La parabole qui nous est proposée est à l’intention « qui se sont convaincus d’être justes et rejettent les autres ». Il est facile de dénoncer cette attitude chez les autres. Mais n’est-elle pas aussi dans une certaine manière la nôtre. Nous chrétiens pratiquants qui allons à la messe tous les dimanches - je passe les moines qui y vont tous les jours - ne sommes-nous pas portés à mépriser les autres, les mauvais chrétiens, les incroyants et à leur faire des leçons de morale ?
Méditation du mardi : présentation de la parabole
Venons-en maintenant à la parabole proprement dit. On peut remarquer qu’elle commence par une montée au temple et se termine par une descente à la maison. On peut là encore parler d’inclusion d’autant qu’en grec « monter » se dit venir en haut (anabainô) et descendre « venir en bas » (katabainô). Ce sont les deux seuls verbes de mouvement de la parabole. On peut dire que celle-ci se déroule en un lieu unique le temple. Les compléments des deux verbes monter et descendre sont d’une part « le temple » (to hieron) en grec et d’autre part la maison (ho oikos). Ces deux termes sont en quelque sorte mis en opposition.Or le Temple est associé à la prière puisque les deux hommes « montent au Temple pour prier ». On peut donc rapprocher cette parabole de la déclaration de Jésus à son entrée au Temple de Jérusalem en Luc 19, 46 : « Il est écritMa maison sera une maison de prière. » Déjà dans notre parabole, le Temple est présenté implicitement comme une maison de prière. Le Temple n’est pas notre maison mais c’est la maison d’un autre ou plutôt la maison de l’Autre située au-dessus de notre maison, de notre lieu de résidence habituelle puisqu’on on y monte et on en descend.L’évangile selon saint Luc fournit certes le contre-exemple d’un personnage qui « ne s’éloignait pas du Temple », la prophétesse Anne en Lc 2,37 mais celle-ci passe sa vie à prier, « servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière. »
La parabole présente une structure très simple. Elle comporte une brève introduction où sont présentés les deux protagonistes (v. 10) : un pharisien et un publicain puis deux courtes parties qui sont les descriptions des attitudes respectives des deux protagonistes, le pharisien d’abord puis le publicain.Ces deux parties sont d’ailleurs bâties de manière symétrique puisqu’elles décrivent d’abord l’attitude corporelle de l’orant avant de nous révéler le contenu de sa prière.
Méditation du mercredi : Un publicain et un pharisien
Regardons à quoi correspondent ces deux catégories de personnages. Les pharisiens forment, selon Flavius Josèphe, l’un des trois partis de la religion juive au temps de Jésus, les deux autres étant les sadducéens et les esséniens. Leur nom vient du verbe hébreu paraṣ sui peut signifier soit « expliquer », soit « séparer ». Même si le premier sens est possible – les pharisiens seraient ceux qui « expliquent » la loi, le sens « séparer » est généralement retenu par les historiens : le nom de pharisiens viendrait de ce qu’ils se sont « séparés », qu’ils ont rompu avec le souverain hasmonéen Alexandre Jannée (135-104 av. J.-C.) Les pharisiens, qui se recrutent dans toutes les couches de la société juive, ne sont pas des prêtres, mais des scribes qui donnent la priorité à l’étude de la Loi, dans des assemblées – les « synagogues » - sur le culte sacrificiel du Temple. Ils s’opposent donc aux sadducéens qui forment une aristocratie sacerdotale attachée au Temple et au culte sacrificiel. Les pharisiens ont une conception ouverte de la tradition puisqu’à côté de la Loi écrite ils considèrent qu’il existe une tradition orale qui a une aussi grande valeur alors que les sadducéens, eux, se fondent sur la loi écrite et principalement la Torah, les cinq livres de la loi réputés avoir été écrits par Moïse.Les pharisiens, contrairement aux sadducéens, croient à la résurrection des morts et à l’existence des anges et des esprits. Après la destruction du Temple en 70, les pharisiens sont le seul courant du judaïsme qui va survivre – avec les chrétiens mais ceux-ci se séparent alors de la religion juive – et ce sont eux, les pharisiens, qui sont à l’origine du judaïsme rabbinique.
Les pharisiens partageaient donc des éléments communs avec Jésus dont la croyance en la résurrection des morts. Pourtant ils sont généralement présentés dans les évangiles comme des contradicteurs de Jésus. C’est notamment le cas dans l’évangile selon saint Luc : en Lc 5,21 ils accusent Jésus de blasphémer car il a dit au paralytique « Tes péchés sont pardonnés. », en Lc 5,30 et Lc 15,2,ils murmurent contre Jésus parce que celui-ci mangent avec les publicains et les pécheurs ; en Lc 6,2 ils reprochent au disciples de Jésus qui arrachent des épis en traversant un champ de faire ce qui est défendu le jour du sabbat ; en Lc 6,7 et 14,3, les pharisiens observent Jésus pour voir s’il va faire une guérison le jour du sabbat afin de pourvoir l’accuser ;en Lc 11,37, un pharisien s’étonne que Jésus ne se lave pas les mains avant de manger. ; en Lc 11,53, les pharisiens cherchent à tendre un piège à Jésus ; en Lc 16,14, les Pharisiens se moquent du discours de Jésus sur l’argent ; enfin en Lc 19,39, les Pharisiens demandent à Jésus de faire taire ses disciples au moment de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem.
Jésus n’est pas en reste dans la polémique contre les pharisiens. Au chapitre 11 de l’évangile selon saint Luc, il prononce contre eux une violente diatribe (Lc 11,39-44) ; au début du chapitre 12, il conseille à ses disciples de se méfier « du levain des pharisiens, c’est-à-dire de leur hypocrisie » (Lc 12,1), au chapitre 16, comme nous l’avons vu, il les accuse de se faire passer pour juste devant les hommes mais d’être abominables aux yeux de Dieu (Lc 16,15).
La violence des propos tenus par Jésus à l’égard des pharisiens pourrait faire croire à une rupture irrémédiable. Pourtant l’évangile selon saint Luc signale plusieurs occasions où Jésus se trouve invité chez des pharisiens montrant que malgré les polémiques les opposant il existe encore entre eux une possibilité de convivialité. Ainsi Jésus est invité chez Simon le pharisien en Lc 7,36, chez un pharisien en Lc 11,37 et même chez un chef des pharisiens en Lc 14,1
Le terme publicain en grec telonès en renvoie pas à un parti religieux comme le terme pharisien mais à une profession, « collecteur d’impôts » comme le dit l’explication ajoutée à la traduction liturgique du terme publicain. En fait cette explication est quelque peu imprécise et inexacte et permet mal de comprendre la réprobation dont faisaient l’objet les publicains dans la société juive d’alors. Le publicain est certes chargé de la collecte des impôts à un péage ou à un bureau de douane comme nous le montre Luc en ce qui concerne Lévi en Lc 5,27 : « Après cela Jésus sortit et remarqua un publicain du nom de Lévi assis au bureau des collecteur d’impôts. ». Il y avait des bureaux de douanes dans les villes importantes situées à proximité des frontières des différentes entités politiques que l’on trouvait en Palestine au temps de Jésus. Ainsi il n’est pas étonnant due trouver un bureau de publicain à Capharnaüm, centre économique relativement important à l’époque situé, à proximité de la frontière avec la Décapole, dans le royaume de Galilée alors détenu par Hérode Antipas. De même Jéricho cité importante de la province romaine de Judée, proche de la frontière avec la Pérée, a son chef des publicains Zachée. Toutefois le terme de « collecteur d’impôts » suggère en français que les publicains seraient des fonctionnaires de l’État, en l’occurrence de l’Empire romain, ce qui n’est pas le cas. En effet, l’Empire Romain affermait ses impôts c’est-à-dire qu’il en confiait la perception à des « sociétés privées » pourrait-on dire. L’État fixait le montant qu’il souhaitait percevoir à charge pour les sociétés de publicains de lui fournir le montant. Aussi les publicains exigeaient des contribuables plus que le montant demandé par l’État, la différence étant le bénéfice, le « salaire » des publicains. De ce fait les publicains étaient soupçonnés d’exiger des montants très élevés et étaient assimilés à des pécheurs, d’autant plus qu’ils collaboraient avec la puissance étrangère occupante, l’Empire romain. Parmi les publicains il y avait probablement plusieurs catégories, les chefs de ces sociétés proprement dits qui traitaient directement avec la puissance occupante. À cette catégorie appartient certainement Zachée qualifié de « chef des publicains » (Lc 19,2) mais il y avait aussi de simples employés de ces sociétés de publicains. L’évangile selon saint Luc présente une image plutôt positive des publicains qui se sont convertis à la prédication de Jean le Baptiste (Lc 3,12 ; 7,29) Jésus accepte de manger avec eux (Lc 5,19-30) et même de loger chez un de leurs chefs, Zachée (Lc 19,3.7). En raison de ce bon accueil qu’il fait aux Publicains, Jésus est qualifié « d’ami des publicains et des pécheurs » (Lc 7,34).
Notre parabole n’est pas le seul passage où se trouvent confrontés pharisiens et publicains. En Lc 5,30 et 15,2, les pharisiens reprochent à Jésus de manger avec les publicains et les pécheurs. Jésus réplique en soulignant qu’il est venu appeler les pécheurs à la conversion. En Lc 7,29-30 Jésus oppose l’attitude des publicains à celle des pharisiens concernant Jean le Baptiste :
Tout le peuple qui a écouté Jean, y compris les publicains, en recevant de lui le baptême, a reconnu que Dieu était juste. Mais les pharisiens et les docteurs de la Loi en ne recevant pas son baptême, ont rejeté le dessein que Dieu avait sur eux.
En ce passage Jésus paraît déjà indiqué qu’en recevant le baptême de Jean, les publicains ont accepté le projet de Dieu pour eux et sont devenus des justes alors que les pharisiens ne refusant de le recevoir ont mis en échec le projet de Dieu sur eux et ne peuvent de ce fait être considérés comme des justes aux yeux de Dieu.
Méditation du jeudi : La prière du pharisien
Du pharisien il est simplement dit qu’il se tient debout ce qui en soi n’est guère significatif car le publicain aussi est « debout » - le verbe grec histemiest employé pour les deux. En fait ce qui est peut-être plus important ici c’est que ce debout est employé de manière absolue sans précision par rapport à la géographie du Temple. Au chapitre premier de l’évangile de Luc l’ange Gabriel est « debout à droite de l’autel de l’encens », dans la seconde partie de notre parabole, le publicain est « debout – même si ce terme n’a pas été retenu dans la traduction française - à distance » Le pharisien est « debout » sans précision il n’est pas placé dans un rapport spatial avec la divinité dont le Temple est la demeure. En fait le Pharisien est debout dans le Temple comme il le serait dans sa maison.
Il est précisé qu’il prie en lui-même. L’expression grecque pros eauton signifie littéralement « en direction de lui-même ». Dans toutes les traductions que j’ai consultées on retrouve la même expression « en lui-même. » Celle-ci n’est pas fausse si l’on veut dire par là que la prière du pharisien reste en lui-même qu’elle ne sort pas de lui-même. Examinons maintenant la prière prononcée par le pharisien. Une première remarque peut être faite : dans cette prière tous les verbes ont pour sujet la première personne du singulier je : « Je te rends grâce », « je ne suis pas », « Je jeûne », « je verse le dixième ». Le pharisien est l’unique acteur de sa prière. Cette prière n’est pas un dialogue avec Dieu mais un monologue où le pharisien ne semble attendre aucune réponse de Dieu. Cette prière est apparemment une action de grâce. Mais l’action de grâce ne porte pas sur ce que Dieu a fait pour le pharisien mais sur ce que le pharisien lui-même a fait. Au lieu de célébrer les merveilles accomplies par Dieu, le Pharisien ne fait que s’autocélébrer.
Dans sa prière le Pharisien déclare «ne pas être comme les autres hommes. » Le pharisien sait bien qu’il y a une séparation, une distance entre Dieu et les hommes. Mais il se met non pas du côté des hommes mais du côté de Dieu. Lui est avec Dieu quand les autres hommes sont séparés de Dieu. Le pharisien utilise trois adjectifs pour décrire les autres hommes : ils sont voleurs (arpages), injustes (adikoi), adultères (moichoi). Or deux de ces trois termes se retrouvent au chapitre 16 de l’évangile selon saint Luc dans un contexte où Jésus polémique avec les pharisiens. A la suite de la parabole de l’intendant infidèle, Jésus précise : « Celui qui est malhonnête (en grec adikoi - le terme qui est traduit par injuste dans notre texte) est malhonnête aussi dans une grande. » À la fin des propos de Jésus, Luc nous précise que « les pharisiens qui aimaient l’argent tournaient Jésus en dérision. » Suivent d’autres paroles de Jésus dont une où se retrouve le terme l’adultère : « Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse un autre commet un adultère ; et celui qui épouse une femme renvoyée par son mari commet un adultère. » D’après les évangiles de Marc et Matthieu qui rapportent la même parole du Christ en réponse à une question des pharisiens sur les conditions pour renvoyer leurs femmes, il semble que bien les pharisiens acceptaient le divorce et peuvent donc, dans la perspective radicale que propose Jésus être taxés d’adultère. Le terme arpax n’est pas employé pour les pharisiens. Néanmoins, dans l’évangile selon saint Luc, au chapitre 11, Jésus accuse les pharisiens « mais à l’intérieur de vous-mêmes vous être remplis de cupidité et de méchanceté. » La cupidité et la méchanceté sont bien les éléments constitutifs de la rapacité dont les pharisiens accusent les autres hommes. On le voit les trois termes employés par le pharisien pour dénoncer les autres hommes sont employés explicitement ou implicitement dans l’évangile selon saint Luc pour dénoncer les agissements des pharisiens. En fait, c’est comme si le pharisien de notre parabole voyait chez les autres hommes, ce qui correspond en fait à ses propres défauts.
Les pratiques dont le pharisien ici se glorifie sont aussi attestés par ailleurs dans l’évangile selon saint Luc. Le jeûne dont le pharisien tire ici gloire « Je jeûne deux fois par semaine » a fait l’objet d’une remarque des pharisiens à l’encontre de Jésus : « Les disciples de Jean le Baptiste jeûnent souvent et font des prières ; de même ceux des pharisiens. Au contraire les tiens mangent et boivent ! » (Luc 5, 33). La pratique pharisienne de payer la dîme a été mentionnée par Jésus au chapitre 11 dans une diatribe accusant les pharisiens de ne pas avoir respecté ce qui est le plus important dans la loi : « Quel malheur pour vous, pharisiens, parce que vous payez la dîme sur toutes les plantes du jardin, comme la menthe et la rue et vous passez à côté du jugement et de l’amour de Dieu. » (Luc 11, 42). Revenons sur le sens profond de ces deux observances. Le jeûne est une pratique liée au deuil et à la pénitence. En Lc 2,37, Anne, qui « sert Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière » est une veuve, une femme en deuil. D’ailleurs, lorsqu’on l’interroge sur le point de savoir pourquoi ces disciples ne jeûnent-ils pas Jésus répond : « Pouvez-vous faire jeûner les invités de la noce, pendant que l’Époux est avec eux mais des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé ; alors en ces jours-là ils jeûneront. »(Lc 5,34-35). En d’autres termes, Jésus déclare que l’on ne doit pas jeûner en tout temps mais qu’il y a un temps pour le jeûne, le temps du deuil et de la pénitence. Or le pharisien de notre parabole jeûne deux fois par semaine en tout temps semble-t-il. Son jeûne est devenu une observance régulière qui a perdu sa signification profonde. On pourrait dire la même chose sur le fait qu’il « verse le dixième de tout ce qu’il gagne. » Cette pratique du versement de la dîme prend son origine dans le récit de la rencontre la rencontre d’Abram et de Melkisédek en Gn 14 dans lequel il est dit « qu’Abram lui donna le dixième de tout ce qu’il avait pris » (Gn 14,20). Or, ce don de la dîme est une réponse à la bénédiction prononcée sur Abram par Melkisédek : « Béni soit Abram par le Dieu très-haut qui a créé le ciel et la terre ; et béni soit le Dieu très-haut qui a livré les ennemis en tes mains. »Le don de la dîme est donc à l’origine une action de grâce en réponse à une bénédiction. Pour le pharisien il est devenu une pratique habituelle qui n’est plus liée à une action de grâce. Jeûne et paiement de la dîme sont eux pratiques qui renvoient à des temps différents, temps du deuil de l’épreuve de la pénitence pour le jeûne, temps de la bénédiction et de l’action de grâce pour le paiement de la dîme. Le fait que le pharisien pratique conjointement ces deux observances en tout temps montre que pour lui elles ont perdu leur signification profonde, leur lien avec l’existence concrète. Elles sont devenues des devoirs des obligations que l’on remplit sans se demander quel en est le sens.
La prière du pharisien vient en quelque sorte donner raison au jugement sévère porté par Jésus : le Pharisien se glorifie de ses observances extérieures (le jeûne le paiement de la dîme) mais il n’aime pas son prochain et donc puisque l’amour de Dieu et l’amour du prochain sont intiment liés, il n’aime pas vraiment Dieu. Il croit aimer Dieu mais il n’aime en fait que lui-même. Il s’approprie Dieu et il l’instrumentalise pour sa propre autoglorification. La prière du pharisien signale le danger d’un lien « fusionnel » avec Dieu. Le pharisien prétend ne faire qu’un avec Dieu. Mais en réalité il ne fait un qu’avec sa propre image de Dieu, son Dieu à lui qui est … lui-même ; mais en se coupant des autres, il se coupe en réalité de l’Autre qu’est Dieu.
Seigneur, préserve-nous de la tentation de croire que tu es à nos côtés et que nous sommes séparés du reste des hommes. Aide-nous à percevoir que les autres hommes sont nos frères en humanité et que ce n’est que par leur intermédiaire, par les relations que nous avons avec eux que nous pouvons avoir accès à toi.
Seigneur, aide-nous à mettre en relation nos pratiques religieuses avec notre vie concrète. Que nos jeûnes, nos prières, notre participation à l’eucharistie fassent sens dans notre vie, modifient concrètement notre manière de vivre et qu’elles ne soient pas des obligations que nous accomplissons par devoir et par habitude sans en percevoir le sens profond.
Méditation du vendredi : La prière du publicain
L’attitude du publicain est toute différente. Tout d’abord il se tient à distance. La même expression « se tenir à distance » se trouvait dans l’évangile que nous avons lu y a quinze jours pour qualifier l’attitude des dix lépreux sollicitant de Jésus leur guérison : « Ils s’arrêtèrent à distance » Dans ce texte, les lépreux s’arrêtaient à distance à cause de leur maladie qui les rendaient impurs. On peut penser que, de la même manière, dans notre texte, c’est le péché du publicain, la conscience de son impureté qui l’amène à se tenir en distance de Dieu. Le texte précise ensuite qu’il « n’osait même pas lever les yeux vers le ciel. » Le ciel est plus que le Temple le véritable lieu de résidence de Dieu, le Temple n’étant que le lieu de prière du peuple comme le souligne Salomon lui-même dans la prière qu’il fait lors de la dédicace du Temple : (1 Rois, 8,30) : « Ecoute la supplication de ton serviteur et de ton peuple Israël lorsqu’ils prieront en ce lieu Toi, dans les cieux où tu habites, écoute et pardonnes. » Regarder vers le ciel, c’est regarder en direction de Dieu. Mais, dans la tradition biblique, Voir Dieu est quelque chose de dangereux, voire de mortel pour un homme pécheur. On peut citer en exemple la vision du prophète Isaïe, qui voyant le Seigneur dans le Temple de Jérusalem s’écrie : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme au lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures : et mes yeux ont vu le Roi, le seigneur de l’univers ! » (Is 6, 5) Ne pas oser lever les yeux au ciel c’est donc aussi reconnaître son péché. Dernière attitude corporelle du publicain il se frappe la poitrine. Ce geste est celui de la foule qui a assisté à la passion après la mort de Jésus en Lc 23,48 : « et toute la foule des gens qui s’étaient rassemblés pour ce spectacle, observant ce qui se passait, s’en retournaient en se frappant la poitrine. » Se frapper la poitrine est donc, dans ce contexte un geste de deuil, de déploration face à la tragédie de la mort de Jésus mais aussi une manière pour la foule de reconnaître sa responsabilité et même sa culpabilité dans ce drame. Accompli par le publicain ce geste peut donc être compris comme un geste de pénitence, de déploration de son propre péché et de reconnaissance de sa propre faute. Cette interprétation paraît confortée par le contenu de la prière du publicain : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis. » Si la prière du publicain commence par la même interpellation que celle du pharisien : « Mon Dieu », elle est toute différente. D’abord elle est exprimée non pas à la première personne mais à la deuxième personne du singulier « montre-toi favorable ». Le publicain interpelle Dieu : il se place résolument dans un dialogue avec Dieu. La prière du publicain n’est pas adressée à lui-même comme l’était celle du pharisien mais elle est adressée à Dieu. Le verbe employé ici par le publicain ilaskesthai est un terme technique qui renvoie au pardon des péchés. Dans le Nouveau Testament il n’apparait que dans ce verset et au chapitre 2 de la lettre aux Hébreux. « Il lui fallait donc en tout se rendre semblable à ses frères, pour devenir un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu afin d’enlever (ilaskesthai) les péchés du peuple. » Ce terme était déjà présent dans le premier Testament notamment dans les traductions grecques des psaumes 24 et 78 toujours avec le sens technique d’effacer les péchés. « Seigneur, pour l’honneur de ton nom, pardonne (ilasè) mes innombrables fautes » (Ps ; 24, 11) et « Pardonne (ilasthèti) nos péchés, Seigneur et délivre-nous par égard pour ton nom. » La prière du publicain n’est pas sa prière à lui : elle s’inscrit dans la longue tradition de la prière du peuple d’Israël. Il reprend les termes des psaumes pour formuler sa demande. Sa prière est moins « originale » que celle du pharisien mais elle est plus authentique. Elle rejoint la conscience profonde qu’avaient les auteurs des psaumes de la grandeur de Dieu et de leurs propres péchés.
Méditation du samedi : La conclusion de la parabole
La conclusion de la parabole souligne que c’est le publicain qui est justifié et non le pharisien. Dans le contexte social de la Palestine de l’époque cette conclusion pouvait paraître provocatrice. Les pharisiens étaient des Juifs observants, les publicains étaient les collaborateurs étaient des occupants Romains pour lesquels ils levaient l’impôt et ils tiraient leur revenu du surplus de taxe qu’ils prélevaient, d’où la tentation pour eux de commettre des abus. Cela explique que dans l’évangile de Luc les publicains soient le plus souvent assimilés aux pécheurs. Toutefois la conclusion de la parabole se situe bien dans le prolongement des prières de deux acteurs. Se considérant comme déjà juste, le pharisien ne demande rien à Dieu et n’obtient rien de lui. Son autojustification et son autoglorification ne concerne que lui-même. En revanche le publicain se présente en vérité devant Dieu pour ce qu’il est un pécheur demande le secours de Dieu et l’obtient.
En conclusion de cette parabole Luc a placé une sentence « Qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé » que l’on retrouve, sous différentes formes à plusieurs reprises dans son évangile et dans l’ensemble du Nouveau Testament. Sous une forme quasiment identique » En effet, qui conque s’élève sera abaissé et qui s’élève sera élevé » cette sentence servait de conclusion à la parabole des invités en Lc 14,11. On peut aussi la rapprocher d’un verset du Magnificat, le cantique prononcé par Marie lors de sa visite à Élisabeth : « il renverse les puissants de leuqr trônes, il élève les humbles » (Lc 1,52). Matthieu, quant à lui, place une sentence similaire dans la bouche de Jésus dans son discours polémique contre les pharisiens : « Qui s’élève sera abaissé, qui s’abaisse sera élevé » (Mt 2 3,12). Enfin saint Jacques dans sa lettre adresse un conseil similaire à ses destinataires : « Abaissez-vous devant le Seigneur et il vous élèvera » (Jc 4,10).
Seigneur, nous te demandons pardon parce que nous, chrétiens, nous ne sommes pas meilleurs que les autres hommes. Nous sommes nous aussi, à notre manière, injustes, voleurs et adultère et nous sommes trop souvent comme le pharisien de la parabole à condamner dans les autres nos propres défauts. Seigneur, prends-pitié des pécheurs que nous sommes.
Seigneur nous te demandons pardon parce que, trop souvent, nous prions, nous participons à la liturgie de manière habituelle sans que cela ait une véritable incidence sur nos vies, sans que cela modifie nos comportements. Seigneur, prends-pitié des pécheurs que nous sommes.
Seigneur nous te rendons grâce parce que nous sommes confiants que malgré tous nos défauts et nos faiblesses toi seul tu peux nous sauver et nous rendre juste. Seigneur, prends pitié des pécheurs que nous sommes
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