TRADITION MONASTIQUE

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L'HABIT MONASTIQUE


Par Fr. Antoine-Frédéric Gross


Introduction à une histoire de l’habit monastique


« L’habit en fait pas le moine ». Le proverbe signifiant qu’il ne faut pas se fier aux apparences est bien connu. Il ne faudrait toutefois pas en déduire que l’habit n’a aucune importance dans l’histoire monastique. Tout au contraire si le proverbe a choisi l’exemple du moine c’est bien parce que, contrairement par exemple aux prêtres pour lesquels la soutane ne s’est imposée que tardivement et avec bien des difficultés, ceux-ci se sont très vites caractérisés par un habit particulier puisqu’il semble que dès l’époque de saint Antoine le Grand (251-356) les moines égyptiens disposaient d’un habit distinctif. En tout cas, Pacôme (v. 292-348) établit un costume distinctif pour les moines de la koinonia. Évagre le Pontique (v. 345-399), fut semble-t-il le premier à proposer de cet habit monastique une interprétation symbolique en prologue à son Traité pratique. Toutefois, si l’on consulte le corpus des règles monastiques, on n’est bien obligé de constater que les législateurs n’ont pas tous accorder la même valeur à l’habit monastique. Si Basile de Césarée dans son Grand Asceticon suggère que le port d’un vêtement particulier contribue à façonner le comportement du chrétien ; celui qui le porte étant identifié comme tel s’efforçant de se conformer à ce qu’on attend d’un chrétien, saint Augustin insiste surtout sur la nécessité d’une complète dépossession prévoyant que chaque frère remette son vêtement au vestiaire commun et puisse recevoir un autre habit que celui qu’il a donné. Est-ce en raison du proverbe bien connu ou à cause de la difficulté à faire une synthèse entre des tendances diverses, l’habit monastique ne semble guère avoir fait l’objet de travaux récents sinon sur des exemples très particuliers. On peut néanmoins citer eux articles publiés il y a environ un quart de siècle dans la revue Studia monastica, l’un sur les origines de l’habit monastique par le père Adalbert de Voguë ,l’autre sur l’histoire de l’habit bénédictin par Dom Pius Engelbert . Par rapport à ces deux illustres devanciers notre propos est différent et plus modeste. Nous ne prétendons pas à une quelconque exhaustivité mais nous proposons un parcours en grande partie subjectif au gré de nos lectures, sur l’appréhension de l’habit monastique à travers l’histoire jusqu’à la période contemporaine. Ce parcours est, nous l’avouons volontiers, bien déséquilibré en raison de nos incompétences, plus fourni sur l’histoire ancienne et médiévale du monachisme que sur la période moderne et contemporaine seulement évoquée, bien plus occidental qu’oriental et surtout exclusivement masculin . Il n’est, comme l’indique son titre le dit une sorte d’introduction, qui a d’abord une vocation pédagogique.



Les habits des moines égyptiens et leur interprétation symbolique.


D’après la Vie d’Antoine, celui-ci porta jusqu’à sa mort un « vêtement dont la face interne était en poils et la face externe en peau. » Ce vêtement était donc, comme le dit A. de Voguë, « une sorte de cilice » , un instrument d’ascèse qui mortifie la chair tout en cachant cette mortification à l’extérieur. Dans le récit de la mort d’Antoine évoque d’autres éléments du costume d’Antoine, « ses mélotes » et « le manteau qu’il avait usé », qui sont répartis entre ses disciples .
Pacôme semble avoir été à le premier à légiférer sur l’habit monastique. Les différents éléments de sa législation répartis en quatre groupes (144 praecepta, 18 instituta, 16 judicia et 15 leges) ne nous sont parvenus dans leur intégralité que dans la traduction latine qu’en a donnée saint Jérôme d’après la traduction grecque, le texte copte et sa traduction grecque ne nous étant parvenus que de manière fragmentaire. Le preceptum 81 énumère les vêtements que les moines reçoivent du chef de maison : « deux tuniques, plus une râpée par l’usage, une écharpe assez longue pour entourer le cou et les épaules, une peau de chèvre, qui s’attache sur les côtés, des chaussures, deux cuculles et un bâton. » . Ces éléments sont repris par saint Jérôme dans la préface qu’il a donné à sa traduction de la législation pacômienne . Une autre description de l’habit des moines pacômiens nous est fournie par Pallade dans le chapitre de l’Histoire Lausiaque qu’il consacre à Pacôme et aux Tabennésiotes. Pallade offre une précision intéressante. Selon lui Pacôme prescrivit que sur les cuculles « on appliquât une empreinte en forme de croix avec de la pourpre. »


Dès la fin du IVe siècle, Évagre le Pontique, diacre de Constantinople, originaire des rives de la Mer noire devenu moine en Égypte, proposa une explication symbolique des différents éléments du costume, des moines égyptiens en prologue à son Traité pratique. Selon lui, la cuculle est le symbole de la grâce de Dieu ; la nudité des mains manifeste leur genre de vie sans dissimulation ; le scapulaire en forme de croix, est le symbole de la foi au Christ ; la ceinture manifeste leur chasteté ; la mélote montre qu’ils portent en tout temps dans leur corps la mort de Jésus ; le bâton est un arbre de vie .


Cette interprétation symbolique inspire celle que propose au début du Ve siècle Jean Cassien dans le premier livre des institutions cénobitiques. Jean Cassien commence par évoquer longuement la ceinture à l’aide de nombreux exemples scripturaires puis il définit quelles doivent être les grandes caractéristiques du vêtement du moine : il doit couvrir le corps pour éviter la honte de la nudité et protéger du froid ; il doit être le même pour tous afin qu’il n’y ait pas de distinction entre ceux qui font la même profession et que certains ne tirent vanité d’un vêtement particulier. Décrivant ensuite plus particulièrement le vêtement des égyptiens, il signale les petits capuchons (cuculles) qui sont signes de simplicité et d’innocence, des petites tuniques de lin sans manche, les bras nus signifiant le renoncement aux œuvres du monde, des bretelles ou brassières montrant que les bras ainsi maintenus sont disponibles pour le travail, un petit manteau de prix modique, une peau de chèvre appelé mélote qui signifie l’étouffement des passions corporelles, le bâton qui indique qu’ils ne doivent jamais marcher désarmés au milieu des vices. Il précise que les moines égyptiens ne portent pas de chaussures mais seulement des sandales car les pieds de l’âme doivent être disponibles pour la course spirituelle. Jean Cassien précise à la fin de cette description que cette tenue des moines doit être adaptée aux conditions climatiques et aux usages de la Gaule c’est-à-dire qu’il convient de prendre des vêtements plus chauds que les tuniques de lin égyptiennes et de renoncer aux éléments vestimentaires comme la mélote qui paraîtraient trop incongrus . L’importance de Jean Cassien tient aussi dans son rôle de passeur entre Orient et Occident : il fait connaître l’habit mes moines égyptiens et son interprétation symbolique au monachisme latin.


Un autre auteur qui propose une interprétation symbolique de l’habit monastique inspirée de celle d’Évagre le Pontique est Dorothée de Gaza qui écrit ses Instructions spirituelles en Palestine au VIe siècle. Selon lui l’habit monastique se compose d’une tunique sans manches, d’une ceinture, d’un scapulaire et d’une cuculle. L’absence de manches signifie pour lui le renoncement aux œuvres du vieil homme. Mais il précise en outre que la tunique porte une marque de pourpre pour montrer que les moines sont soldats du Christ. La ceinture signifie la disponibilité au travail et la mortification de l’âme. Le scapulaire placé sur les épaules à la manière d’une croix signifie la mort au monde réalisée par la foi au Christ. Quant à la cuculle, elle symbolise à la fois l’humilité, la grâce de Dieu ainsi que l’enfance et l’innocence dans le Christ .



Saint Martin et l’habit du pauvre


Il ne semble pas que saint Martin (316 ? -397) ait imposé à ses moines un habit uniforme. Il mérite toutefois d’être mentionné ici en raison de l’importance que tient son vêtement dans plusieurs épisodes des œuvres de Sulpice Sévère racontant sa vie, la Vita Martini rédigée probablement en 396 et les Dialogues écrits ver 403/404. Il n’est pas besoin ici de revenir en détails sur le célèbre épisode du manteau partagé tant de fois représenté. Il suffira de dire que la vision que Martin a eu ,suite à son acte de charité, du Christ revêtu de la moitié du manteau qu’il avait donné au pauvre, l’a conduit à identifier le Christ aux pauvres et par conséquent à débusquer Satan lorsque celui-ci s’est présenté à lui revêtu de la pourpre impériale en se prétendant le Christ . Il convient en revanche de mentionner une seconde charité de Martin rapporté au début du livre II des Dialogues. Martin, devenu évêque de Tours, est sollicité de manière pressante par un pauvre grelottant de froid. Il confie à son archidiacre la mission de le vêtir mais comme celui-ci néglige de le faire, et que le pauvre se montre insistant, Martin finit par lui donner sa propre tunique, demeurant nu sous sa cape. Sans rien dire de son acte de charité il exige, avant de célébrer sa messe, de l’archidiacre un habit pour vêtir le pauvre. L’archidiacre achète un vêtement bigourdan court et poilu, qui ressemble à un cilice, dont se revêt secrètement Martin .


Au-delà de son caractère humoristique, le récit souligne non seulement l’attachement de Martin à l’accomplissement immédiat du précepte évangélique de vêtir celui qui est nu mais aussi sa volonté de s’identifier lui-même au pauvre en lequel il reconnaît le Christ y compris en prenant son vêtement. Toujours au début du livre II des Dialogues, Sulpice Sévère rapporte un autre témoignage de Gallus qui va dans le même sens. Lors d’une tournée pastorale de Martin accompagné de quelques moines de Marmoutier, l’habit noir et velu de Martin et son manteau pendant effraient les mules tirant un chariot conduit par des agents du fisc. Les bêtes font un écart. Les agents fisc excédés sautent à terre et se mettent à battre celui qu’ils prennent en raison de son vêtement pour un pauvre hère. Martin reçoit les coups sans protester. Les agents du fisc le laissent à moitié mort. Mais revenu à leur chariot, ils ne peuvent faire repartir les mules qui semblent comme paralysées. Faisant retour sur eux-mêmes, les agents du fisc reviennent vers Martin qui a été rejoint par ses moines et, comprenant alors qu’il s’agit de l’évêque reconnaissent leur méprise et confessent leurs fautes. Martin les pardonne et leur permet de repartir en rendant aux mules leur mobilité . Dans ce passage l’habit que porte Martin loin de le faire reconnaître pour ce qu’il est évêque et moine, le fait prendre pour un pauvre et être traité avec brutalité par des agents publics. Loin de chercher à détromper ceux-ci, Martin accepte de subir des avanies de leur part probablement car il y voit pour lui une manière de participer aux souffrances du Christ. Il y donc chez Martin une recherche volontaire de la pauvreté dans l’habit afin d’être pris pour un pauvre et d’être ainsi identifié au pauvre par excellence qu’est pour lui le Christ.


La pluralité d’approche de l’habit dans les principales règles monastiques (IVe-VIe siècle)


Si l’on s’intéresse maintenant à la manière dont les législateurs monastiques traitent la question de l’habit, on peut relever une grande diversité d’approche. Nous nous conterons ici d’évoquer les trois corpus législatifs qui ont eu l’influence la plus durable, les Règles monastiques de saint Basile pour l’orient, et pour l’occident la règle de saint Augustin et celle de saint Benoît.


Dans ses Grandes Règles, Basile de Césarée (329-379) consacre la question 22 au vêtement du chrétien. Il commence par insister sur la nécessité de l’humilité dans le vêtement puis il rappelle que le but des vêtements est de se couvrir et de réchauffer. Selon lui les chrétiens ne doivent pas avoir de vêtements spécialisés pour différents usages mais un seul vêtement à utiliser de jour comme de nuit. Il s’ensuit que tous les membres des fraternités auront le même habit. Le port d’un habit distinctif a pour Basile un grand avantage car il oblige ceux qui le portent à adopter une conduite en conséquence. En quelque sorte pour Basile l’habit fait le chrétien dans où le port de l’habit de chrétien l’oblige à se comporter aux yeux du monde comme un chrétien . Dans la question suivante (23), Basile de Césarée évoque la ceinture dont il souligne la nécessité à partir d’exemples scripturaires et afin d’avoir des mouvements plus libres pour le travail .


Dans son Praeceptum écrit vers 397-400, saint Augustin n’évoque pas de vêtement particulier pour les moines. En revanche son insistance sur la dépossession concerne aussi le vêtement. En Praceptum V,1, il prescrit aux moines de placer leurs vêtements en un vestiaire unique et de ne pas se formaliser s’il reçoit un vêtement différent de celui qu’il a donné .


Dans le chapitre de sa règle qu’il consacre aux vêtements des moine (LV), Benoît de Nursie (v. 480-547), après avoir rappelé, à la suite de Jean Cassien dans les Institutions cénobitiques que le vêtement doit être adapté aux conditions climatiques du lieu : une coule velue en hiver, lisse en été, une tunique et un scapulaire pour le travail. ; des chaussons et des souliers. Les moines ne doivent se soucier ni de la qualité ni de la couleur du tissu mais prendre ce qu’ils trouveront de moins cher. Ils ne doivent pas avoir plus de deux coules et de deux tuniques, la tenue de rechange servant pour la nuit et au cas où l’autre est au nettoyage. Pour les voyages mes moines reçoivent des caleçons ce qui signifie qu’ils n’en portent pas tant qu’ils sont au monastère. On peut relever que Benoît bien qu’il connaisse les Institutions cénobitiques de Cassien dont il semble se servir lorsqu’il évoque l’adaptation du vêtement aux conditions climatiques ne reprend pas les explications symboliques du vêtement monastique qu’on y trouve . Le vêtement joue aussi un rôle dans l’accueil d’un nouveau frère au monastère. En effet, immédiatement après avoir promis l’observance de la règle, le nouveau moine est dépouillé à l’oratoire même de ses anciens vêtements et reçoit les vêtements du monastère. Ses anciens vêtements sont conservés au vestiaire pour lui être rendu au cas où il viendrait à quitter la vie monastique .


Entre pluralisme et tentative d’uniformisation : l’habit monastique à l’époque carolingienne                         


Au cours des premières décennies du IXe siècle, l’observance de la règle de saint Benoît est imposée à l’ensemble des moines de l’empire carolingien. Dès les premières années du siècle, Charlemagne écrit à l’abbé du Mont-Cassin Théodemar, pour obtenir de lui un exemplaire de la règle et le consulter sur un certain nombre de détails pratiques. Une partie des questions de Charlemagne porte sur le vêtement des moines. La réponse de Théodemar a connu une large diffusion comme l’atteste les nombreux manuscrits conservés. À la question de Charlemagne concernant ce qu’est la coule (cuculla), Théodemar répond qu’on l’appelle d’un autre nom chasuble (casula) et que ce que les Gaulois appelle coule est appelé cape (cappa) chez eux et devrait s’appeler mélote, mot qu’il fait dériver selon une étymologie fantaisiste de melos, le blaireau en latin. Il souligne la diversité des usages concernant ce vêtement en Gaule, en Italie, en Grèce, et outre-mer c’est- à-dire dans les îles britanniques. Théodemar dresse ensuite une liste des vêtements nécessaires aux moines ; trois tuniques, deux épaisses pour l’hiver et une plus fine pour l’été et , en lieu et place des coules (cuculla) inusitées en Italie trois manteaux (manti), deux épais, , un plus fin, et deux caleçons (femoralia)– même si certains frères s’en passent ; Théodemar explique enfin que le scapulaire pour le travail est un vêtement couvrant principalement les épaules et la tête utilisé par presque tous les paysans dans la région du Mont-Cassin. Il ajoute l’usage de pelisse est concédé aux moines âgés . Par rapport à la règle de saint Benoît, on voit que l’usage de caleçons à l’intérieur des monastères tend à se généraliser malgré certaines réticences.


Les décrets authentiques promulgués à la suite de la première assemblée d’abbés et de moines réunie à Aix-la-Chapelle en 816 à l’initiative de Louis le Pieux et de son conseiller Benoît d’Aniane accorde aux moines au chapitre XX une garde-robe bien plus conséquentes que ce que prévoyait la règle de saint Benoît : deux chemises, deux tuniques, deux coules et deux capes auxquelles on peut ajour une troisième, quatre chausses, deux caleçons, un froc , une pelisse descendant jusqu’au talon, deux bandes molletières - et deux autres pour les voyages - une paire de gant pour l’été et une père de moufles en laine de brebis pour l’hiver, deux paires de chaussures de jour, pour la nuit, deux sandales l’été, et deux chaussons l’hiver. Cette augmentation de la garde-robe me semble devoir être mise en relation avec la précision au chapitre XVIIII que les vêtements donnés aux moins doit être ni « trop bon marché (ne multum vilia) ni trop précieux » mais médiocres ce qui dénotent une nette évolution par rapport à la règle de saint Benoît qui demandait qu’on achète ce qu’on trouvait de moins cher (vilius) .


Selon son biographe, Benoît d’Aniane, s’efforçant d’apporter une uniformité dans les coules (cucullae) dont Théodemar constatait la diversité légifère sur leur longueur : elles ne doivent pas dépasser deux coudées et doivent s’arrêter au-dessus des genoux .


La lutte contre le luxe des habits religieux au Xe siècle


Après les troubles causés dans les monastères par les invasions normandes dans la seconde moitié du IXe siècle, le Xe siècle est une période de réforme de l’institution monastique. Parmi les principaux centres réformateurs figure l’abbaye de Cluny fondée en 908 ou 910 par le duc d’Aquitaine, Guillaume le Pieux qui la remet aux apôtres Pierre et Paul et la place sous la protection du pape. Le second abbé de Cluny, Odon, ancien chanoine de Saint-Martin de Tours réforme à titre personnel plusieurs abbayes. Il est aussi un pourfendeur de luxe dans les habits monastiques Au troisième livre de ces Trois livres de conférences, au chapitre XXII, il rapporte il rapporte une vision qu’a eu Gui, moine de Solignac. Celui-ci a vu un moine nommé Gauzlin décédé peu avant et qui se trouvait dans son cercueil vêtu d’une coule bleue demandant l’absolution à un abbé d’une blancheur vénérable et cet abbé lui répondre qu’il ne le connaissait pas et qu’il ne lui donnerait pas l’absolution tant qu’il ne porterait pas un habit conforme à la règle. Dans la vision Gauzlin se relève et va trouver Gui tout tremblant. Odon dit qu’il croit à la réalité de cette vision car Gauzlin s’est rendu récemment au monastère de Déols, un monastère donné aux apôtre Pierre et Paul comme Cluny, et il a changé son vêtement et renoncé à ses biens propres. À la suite de ce récit Odon, explique que même les séculiers s’indignent du luxe des vêtements des moines car la superbe est encore plus détestable là où l’humilité devrait régner .


Dans sa Vita Odonis son biographe Jean de Salerne rapporte deux récits exemplaires d’Odon concernant le vêtement des moines. Le premier concerne les religieux de Saint-Martin de Tours au moment où ils abandonnent l’observance bénédictine : ils abandonnent leurs vêtements accoutumés et se mettent à porter des tuniques et des coules teintes et ornées. Leurs chaussures sont tellement colorées et brillantes qu’on dirait qu’ils portent un verre coloré. Leur changement de conduite et notamment de tenue vestimentaire est sanctionné par un châtiment divin . La second présente des points communs avec le récit concernant Gauzlin dans les Trois livres de conférences. En raison des invasions normandes de nombreux moines ont été contraints de quitter leur monastère, de rentre chez eux et de vivre de nouveau avec leurs propres biens, adoptant des vêtements différents de couleur bleue. L’un de ceux-ci gagna Cluny et renonça à ses biens propres et promit obéissance. Mais revenu au lieu où il habitait auparavant, avec le frère auquel il avait promis obéissance, il tomba malade et mourut subitement. Avant de mourir il eut ainsi que le frère qui l’accompagnait une vision, il vit un trône élevé où siégeait saint Benoît entouré d’une multitude de moines. Le moine mourant était prosterné loin du trône, un autre moine vint auprès de saint Benoît pour lui demander qu’il lui accordât le pardon mais saint Benoît refusa car il ne portait pas l’abbé régulier. Après cette vision, le frère de Cluny donna son habit au moine mourant. On peut s’étonner de la manière dont Odon de Cluny présente ici saint Benoît . On peut en effet vraiment douter que celui qui dans sa règle explique que les moines ne doivent pas se soucier de la couleur du tissu refuse l’absolution à un moine juste parce qu’il porte un vêtement bleu… En réalité l’enjeu est probablement ailleurs. Ce que reproche surtout à Odon à ce vêtement c’est que le moine qui le porte l’a acheté à ses biens propres. Cela invite à rapprocher cet exemplum d’un passage du Testament de Bernon, premier abbé de Cluny dans lequel il exhorte les moines à conserver la manière de vivre (modus conversationis) tenue jusque-là tant dans la psalmodie que dans l’observance du silence mais aussi dans la qualité du vivre et du vêtement et surtout dans le mépris des biens propres . L’interdiction d’user de biens propres est en effet ce qui depuis les assemblées d’Aix-la-Chapelle de 816 distingue les moines des chanoines. C’est pourquoi aux yeux d’Odon un moine vêtu d’habit qu’il a acheté avec ses propres revenus n’est pas vraiment un moine.


La protestation montre le luxe des vêtements monastiques n’est pas propre aux Clunisiens. Richer, moine de Saint-Remi de Reims, rapporte les discours tenus lors d’un synode réuni à mont Notre-Dame en 972 par l’archevêque Adalbéron de Reims, neveu de l’évêque Adalbéron de Metz, qui avait réformé l’abbaye de Saint-Arnoul de cette ville en en expulsant les chanoines et les remplaçant par des moines, Lors de ce synode, l’archevêque reçoit des plaintes à propos de la vie des moines. Il réunit donc les abbés de la province sous la présidence de Raoul, abbé de Saint-Remi de Reims, un établissement réformé en 945 par Archembaud, abbé de Saint-Èvre de Toul. Or, dans son rapport devant l’assemblée des évêques, Raoul critique le luxe des vêtements de certains moines leurs bonnets, leurs fourrures, leurs tuniques qui les font ressembler plus à des prostitués qu’à des moines, leur usage de la teinture pour que leurs vêtements soient plus noirs, leurs chaussures avec des becs recourbés, leurs caleçons dont le tissu est si fin qu’il ne cache rien du tout.


Les habits neufs du nouveau monachisme.


Au cours du XIe siècles apparaissent en occident de nouvelles expériences monastiques qui vont aboutir à la formation d’ordres nouveaux. Bernard de Tiron (1050-1116) est une figure caractéristique de ce renouveau monastique. Abbé bénédictin de Saint-Cyprien de Poitiers (1100-1101), il démissionne de sa charge pour se faire ermite puis prédicateur itinérant défendant notamment le célibat clérical en Normandie, avant de fonder un monastère bénédictin à Tiron dans le Perche. Toutefois si ce nouvel établissement adopte la règle de saint Benoît, il rompt avec les usages monastiques du temps notamment en matière de vêtement monastique. La Vie de Bernard de Tiron rédigée par Geoffroy le Gros au paragraphe 71 signale que peu après le temps de la fondation Bernard de Tiron et ses compagnons portaient un habit grossier différent de celui des autres moines se conformant par nécessité à la prescription de la Règle de saint Benoît de se procurer aux vêtements au plus bas prix. Les paysans du lieu détestaient ce genre de vêtement qui leur rappelaient aux qu’ils utilisaient auparavant. Aussi prirent-ils dans un premier temps les moines de Tiron pour de Sarrazins avant de découvrir leur erreur . Bernard de Tiron et ses premiers disciples renouent donc avec la tradition monastique ancienne notamment représentée par saint Martin de la recherche de la pauvreté dans le vêtement qui avait quelque peu abandonnée depuis l’époque carolingienne.


Parmi les nouvelles fondations monastiques de la fin du XIe et du début du XIIe siècle, l’une allait connaître une fortune toute particulière, Cîteaux, en grande partie grâce à la plus célèbre de ses recrues, le jeune Bernard de Fontaine, qui vint la rejoindre avec une vingtaine de compagnons en 1112. Devenu abbé de Clairvaux, Bernard, reprend avec une verve toute particulière la critique du luxe dans les vêtements dans son Apologie à l’abbé Guillaume, une œuvre adressée à son ami Guillaume abbé bénédictin de Saint-Thierry de Reims qui critique les usages des moines bénédictins traditionnels et notamment des Clunisiens. Dans le chapitre X de l’Apologie, Saint Bernard plaint de ce qu’on recherche pour se vêtir non ce qu’on trouve de de plus utile (utilius) mais de plus subtil (subtilius), non ce qu’on peut acheter au meilleur marché mais ce qu’on afficher de plus séduisant et de plus vain. Il souligne la somptuosité de certaines étoffes, le prix excessif de certaines chaussures, deux cents sous pour une paire de mule pour l’équitation se demandant si cela correspond bien au principe de saint Benoît de donner à chacun ce qui est nécessaire. Il déplore que l’habit monastique un emblème d’humilité soit devenu un signe d’arrogance. Il décrit les moines parcourant les marchés, examinant et tâtant les étoffes à la recherche des plus rares . La description de Bernard paraît quelque peu caricaturale. En effet les coutumiers clunisiens réglementent la valeur des vêtements des frères. Par exemple le coutumier clunisien de Maillezais, daté du début du XIIe siècle au chapitre XVIII fixe à huit sous maximum le prix du tissu du froc et de la coule .


Toutefois les lettres de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, adressées à Bernard de Clairvaux en réponse à ces critiques montre que le controverse ne porte pas sur le prix du tissu à employer pour confectionner les habits mais bien sur deux manières différentes d’interpréter la règle de saint Benoît. Dans la lettre 28 Pierre le Vénérable défend les usages clunisiens contre les attaques de Bernard de Clairvaux. Dans le paragraphe II, il défend l’usage de pelisses qui n’est pas prévu par la règle. Il commence par examiner ce que dit saint Benoît. Celui-ci prévoit que l’on donne des vêtements aux moines en tenant compte du climat et que cette considération soit aux mains de l’abbé. Il n’interdit donc pas explicitement l’usage des pelisses. Pierre le Vénérable s’efforce ensuite de démontrer que l’usage des pelisses est courant dans les Écritures saintes évoquant d’abord els tuniques de peaux confectionnées par Dieu pour Adam et Ève après la chute puis les vêtements de peaux des prophètes depuis Élie jusqu’à Jean le Baptiste. D’ailleurs, ajoute Pierre le Vénérable, saint Benoît lui-même, d’après Grégoire le Grand dans les Dialogues était vêtu de peaux, lorsque, vivant en ermite dans la grotte de Subiaco, il fut découvert par des bergers. Pour conclure Pierre le Vénérable indique que si les Clunisiens ne respectent pas littéralement la règle en utilisant des pelisses, les Cisterciens ne le font pas non plus puisque pour lutter contre le froid ils superposent plusieurs tuniques alors que la règle dit que les moines ne doivent en porter qu’une seule . Dans le paragraphe suivant de la même lettre Pierre le Vénérable défend l’usage des caleçons (femoralia) attaqués par Bernard puisque la règle de saint Benoît n’en permet l’usage qu’en voyage. Il s’appuie là encore sur le Saintes Écritures et plus particulièrement sur le Livre de l’Exode (Ex 28,43) qui stipulaient que les prêtres devaient porter un caleçon de lin chaque fois qu’ils entreraient dans Ta tente de la Rencontre. Pour Pierre le Vénérable même si cet usage peut être lu de manière figurative comme une préfiguration de la chasteté de la nouvelle alliance cela n’exclut pas qu’il doit être suivi dans l’Église pour préserver la pudeur . Dans ces deux cas, Pierre le Vénérable oppose à la lecture littérale de la règle de saint Benoît à laquelle se réfèrent Bernard et les Cisterciens, des exemples tirés des Saintes Écritures ou de la tradition monastique. Pour lui la règle de saint Benoît mais une référence parmi d’autres d’égales autorités. Dans la lettre 111, Pierre le Vénérable défend le noir du vêtement clunisien contre le choix de la couleur blanche par Bernard et les Cisterciens Pour défendre l’usage du noir après avoir rappelé que saint Benoît dans la règle dit aux moines de ne pas se préoccuper de la couleur du vêtement, il cite des exemples tirés du monachisme ancien : saint Martin qui portait un vêtement noir, saint Jérôme qui, dans sa lettre à Népotien, conseille d’éviter la couleur blanche, des vierges décrites par Paulin de Nole elle, aussi habillées de noir. Il ajoute que le noir couleur de la pénitence et du deuil convient mieux aux moines que le blanc couleur de la fête et de la joie.


Le vêtement monastique vu par un des fondateurs de ma congrégation de Saint-Maur.


Nous allons évoquer maintenant beaucoup plus rapidement le vêtement monastique à l’époque moderne ce contemporaine. Pour l’époque moderne nous avons retenu le témoignage de Dom Laurent Bénard, prieur du collège de Cluny et l’un des fondateurs de la congrégation de Saint-Maur. Dans son ouvrage Police régulière tirer de la reigle de s. Benoist paru à Paris en 1618, L. Bénard consacre la quinzième des vingt-quatre parénèses qui constituent l’ouvrage aux « vestemens et habits de religion » . Il commence par expliquer que l’habit religieux est à l’esprit de religion ce que le corps est à l’âme puisque comme chaque âme a son corps, chaque profession a son habit. Comme le religieux est consacré à Dieu il en est de même pour son habit qui est une sainte relique que les laïques ne doivent jamais toucher et il appuie son témoignage par une évocation du martyr du moine saint Anastase par les Perses. Il présente ensuite l’habit religieux comme un vêtement de guerre qui met en fuite les trois ennemis de Dieu que sont le monde et les mondains, la chair et les hommes sensuels, l’enfer et se ses diables. Ce thème est longuement développé et illustré par des exemples tirés de l’histoire du monachisme. Il n’oublie pas Scholastique et les moniales bénédictines qu’il qualifie de véritables Amazones.


Il détaille ensuite les différents éléments du vêtement bénédictin en commençant par la tunique. Il précise qu’elle n’était pas fendue mais ouverte seulement par un tout au sommet et au milieu de la robe. Cette tunique était portée à même la chair sans chemise en-dessous ce qui explique selon L. Bénard, qu’il était nécessaire de la laver. L. Bénard insiste sur le fait que c’était l’unique vêtement des moines. Il s’appuie sur le témoignage de Cassien, présenté comme la principale source de saint Benoît, qui précise que la cuculle tombe jusqu’au bas de l’épaule. Il suppose qu’il en allait de même pour la cuculle ou coule mentionnée par la règle de saint Benoît.


Après avoir évoqué la tunique, L. Bénard présente ensuite la cuculle. Il est obligé en préambule d’expliquer que les vêtements des Bénédictins ont évolué tant en raison de la diffusion de la règle à des contrées plus septentrionales que de l’imitation des vêtements ecclésiastiques. Ainsi la cuculle ou grand froc en est venu à désigner un manteau que les moines portent pour aller aux champes et même pour officier au chœur. Selon L. Bénard, le mot froc est une altération du mot floc et vient du tissu grossier dans lequel était fabriqué cet habit avec de la laine non cardée formant donc des flocons. Il explique ensuite que ce grand froc est la même chose mélote, mot ce qui signifie toison de brebis. Cette mélote était l’habit de saint Benoît d’après les Dialogues de Grégoire le Grand mais aussi l’habit des prophètes Élie et Élisée set de Jean le Baptiste selon les Saintes Écritures.


L. Bénard évoque ensuite le chaperon dont il précise qu’il était en forme de sac en signe de pénitence. Il traite ensuite de la couleur de l’habit. Pour L. Bénard cet habit doit être noir ou brun puisque c’est la couleur de deuil et de la pénitence. Mais il doit s’agir d’une couleur naturelle et non obtenue par teinture. Il ne rejette pas les couleurs comme le blanc et le gris qui ont été portés par d’ancien moine à condition qu’elles soient obtenues sans teinture.


L. Bénard s’intéresse ensuite au scapulaire qu’il présente d’emblée comme une pièce essentielle de l’habit monastique et bénédictin. Il cite les descriptions concordantes qu’en donnent Cassien, Dorothée de Gaza, Théodemar, abbé du mont-Cassin, dans sa lettre à Charlemagne et Isidore de Séville. Il souligne surtout que le scapulaire a la forme de la croix du Christ et que c’est pour cela qu’il est la pièce essentielle de l’habit religieux. Il relève que dans la plupart des abbayes bénédictines lorsqu’un enfant entre en religion, on lui donne seulement un scapulaire. D’ailleurs, tous les autres ordres religieux portent un scapulaire sauf les Franciscains. Commentant l’expression de la règle de saint Benoit, scapulaire pour le travail (propter operam), L. Bénard explique que le but premier du scapulaire est de rappeler à celui qui le porte la mort et la passion du Christ et qu’il n’est que secondairement une aide au travail.


L. Bénard évoque ensuite la ceinture de peau qu’il présente comme un mémorial de la peau toute entière que portaient les premiers moines. Il termine son examen de l’habit bénédictin par les chaussures. Il s’efforce de montrer que les caligae prévue par Benoît sont des chaussures de soldats qui montent jusqu’à mi-jambe et non des sandales avant d’expliquer que même si les premiers frères bénédictins avaient usé de sandales (ce qui n’est pas le cas) la décence des cérémonies ecclésiastiques exige désormais qu’on ait les pieds couverts. En conclusion de sa parénèse reprenant l’image paulinienne de la panoplie de guerre dans la Lettre aux Éphésiens, L. Bénard présente à nouveau l’habit monastique comme une tenue de combat dont son revêtus les Bénédictins français.



La remise en cause du vêtement monastique dans les années 1970



Il nous a semblé impossible de proposer une introduction à l’histoire de l’habit monastique sans évoquer sa remise en cause contemporaine. Nous le ferons à partir de l’exemple de Maredsous au tournant des années 1960-1970 sous l’abbatiat de Dom Oliver du Roy en signalant d’emblée que cette expérience tourna court puisque O. du Roy fut contraint de démissionner de son abbatiat en 1972. Deux ans auparavant il avait publié un article dans la revue dominicaine Le supplément reprenant la substance des conférences qu’il’ avait tenues à ses moines pour les convaincre d’accorder par un vote la liberté à ceux qui le désiraient de ne plus porter l’habit traditionnel. O. du Roy commence par évoquer le chapitre consacré aux vêtements dans la règle de saint Benoît pour souligner que, d’abord l’habit décrit par saint Benoît est tout à fait semblable à celui que portait les paysans du lieu à l’époque, qu’ensuite Benoît prévoit la possibilité de modifier cet habit pour l’adapter aux climats aux circonstances et qu’enfin Benoît n’associe aucun symbolisme particulier aux différents vêtements qu’il décrit. Après ce préambule historique visant simplement à montrer que rien ne s’oppose à une adaptation de l’habit monastique, il aborde la question d’un point de vue sociologique. Il souligne d’abord que le vêtement est un langage : qu’à côté de sa justification fonctionnelle, utilitaire, il a une justification sociale comme outil de communication. Dans le contexte de chrétienté l’habit religieux disait la consécration à Dieu de chrétiens ayant décidé de vivre en commun (port du même habit), la pauvreté évangélique (habit pauvre) et la chasteté pour le royaume (habit qui met hors de la caractérisation en homme ou femme). Dans une société sacrale ce langage était compris de tous ; ce n’est plus le cas dans la société pluraliste qui est la nôtre. Ce langage peut paraître trop bien connu mais plus vraiment compris : on identifie un moine à son habit mais on ne sait plus vraiment ce qu’est un moine. L’habit peut être considéré comme une affirmation trop voyante de ses convictions ou renvoyant à d’anciens privilèges. Plus grave selon O du Roy, l’habit peut être un langage trop facile dans la mesure où il semble indiquer que le moine est déjà un converti en le dispensant d’un véritable effort de conversion intérieure. Enfin, selon, un dernier risque de l’habit religieux traditionnel c’est qu’il n’aide pas franchement à situer les moines comme des hommes. O. du Roy évoque alors trois objections qu’on pourrait lui faire. La première est qu’on pourrait se contenter de ne pas porter l’habit à l’extérieur et de le garder à l’intérieur entre soi ; mais il lui paraît plus cohérent avec une perspective monastique d’être soi-même franchement habillé en moine au-dehors comme au-dedans ou habillé comme tout le monde au-dedans comme au-dehors. La seconde objection est que les gens préfèrent voir les moines en habit monastique dans les monastères. O. du Roy explique alors que le but n’est pas de plaire aux gens mais de leur montrer y compris en les choquant qu’être moine n’est pas seulement adopter un habit désuet. La troisième objection est que l’habit monastique paraît bien adapté au cadre architectural néo-gothique de Maredsous. O du Roy réplique que c’est justement une raison de plus d’abandonner le vêtement monastique traditionnel pour ne pas être complice de l’archaïsme de ce cadre architectural.


O .du Roy cite ensuite le passage du décret Perfectae caritatis de Vatican II concernant l’habit religieux :


L’habit religieux, en tant que signe de la consécration à Dieu, doit être simple et modeste, à la fois pauvre et décent, adapté aux exigences de la santé et accommodé aux circonstances de temps et de lieux ainsi qu’aux besoins de l’apostolat. On doit modifier l’habit soit masculin soit féminin qui ne correspond pas à ces normes.


Pour O. du Roy ce décret oblige à modifier l’habit monastique si l’on considère qu’il ne correspond pas à ces normes. Il s’interroge sur la manière dont un habit actuel peut être « signe de consécration » Selon lui l’habit religieux l’était traditionnellement à partir de trois critères : d’abord parce qu’il distinguait les membres d’une famille religieux par son uniformité, suite parce qu’on lui conférait une valeur symbolique, enfin parce qu’il remontait à l’époque du fondateur. Selon lui l’adaptation du vêtement religieux demandé par Vatican II invite à ne plus tenir compte e ce dernier critère. Le symbolisme n’est plus compris dans la société actuelle. Reste donc le critère de l’uniformité mais selon O. du Roy le porte de l’uniforme risque d’induire des contresens. Il se demande donc qu’il y a quelque chose d’autre qui pourrait l’habit religieux qui ne soit ni dans l’époque, ni dans le symbolisme ni dans l’uniformité, quelque chose qui ne serait pas du signal extrinsèque de l’ordre de la convention sociale mais un signe intrinsèque qui aurait quelque chose avoir avec la réalité signifiée. Il faut donc selon lui moins rechercher un élément qui nous signale religieux qu’un style d’habillement qui fasse percevoir nos options de vie. L’abandon de l’uniformité implique que les moines ne seront plus reconnus comme membres d’une même communauté à leur habits distinctifs, Ils devront alors se faire reconnaître comme frères par autre chose c’est-à-dire par leur charité mutuelle. Élargissant son propos en conclusion O. du Roy considère que l’unité de la communauté ne doit pas être recherchée dans l’homogénéité y compris vestimentaire mais dans l’acceptation mutuelle des différences.



Quelques remarques pour conclure



A la fin de ce parcours historique nous voudrions revenir sur trois caractéristiques plus ou moins universelles de l’habit monastique.


La première, la plus universelle, est la pauvreté de l’habit. C’est pourquoi le port d’habits luxueux par des moines est un scandale dénoncé avec vigueur par les réformateurs monastiques médiévaux depuis Odon de Cluny jusqu’à Bernard de Clairvaux. Cette pauvreté peut être comprise comme une manière d’imiter la pauvreté du Christ et de ses disciples envoyés en mission sans tunique de rechange. Saint Martin quoiqu’évêque n’hésite pas à revêtir lui-même un vêtement acheté à bas prix pour être donné à un pauvre. dans el même ordre d’idée, saint Benoît recommande de rechercher pour se vêtir ce que l’on trouve de moins cher. Mais elle doit surtout être comprise en termes de désappropriation. Renonçant intérieurement à ses volontés propres pour que se fasse en lui la volonté de Dieu, le moine le montre extérieurement en se dépouillant de ses propres vêtements pour revêtir ceux du monastère. C’est pourquoi dans la Règle de saint Benoît, après avoir promis stabilité, conversion des mœurs et obéissance, le nouveau moine se dépouille de ses vêtements personnels pour revêtir ceux du monastère. Pour saint Augustin, le moine doit confier aux vestiaires du monastère et accepter qu’on lui remette d’autres effets que ceux qu’il a remis. Le vêtement monastique est donc un signe visible de la désappropriation que Jésus exige dans les évangiles de tous les disciples qui veulent le suivre. Ce thème de la désappropriation ne concorde guère avec l’affirmation moderne de l’individu. Il est de ce point de vue significatif qu’O. du Roy qui entend défendre une unité fondée sur l’acceptation mutuelle des différences n’en fasse point mention. La désappropriation n’en demeure pas moins une exigence fondamentale pour tout moine et même pour tout disciple du Christ et il est bon qu’elle se traduise dans le vêtement monastique.


La deuxième caractéristique de l’habit monastique est son uniformité. Elle a nous semble-t-il deux fonctions. La première est de montrer et de conforter l’unité de la communauté. Ce thème est notamment présent dans les Institutions cénobitiques de Cassien. La seconde est de signaler le porteur de l’habit monastique comme un moine et de l’obliger à se comporter comme on l’attend d’un moine. Ce thème est déjà présent chez Basile de Césarée même s’il parle de l’habit du chrétien et non du moine. Aujourd’hui encore l’uniformité de l’habit nous pas demeurer un signe valable de l’unité de la communauté dans les lieux où celle-ci se trouve réunie à l’intérieur du monastère notamment à l’oratoire pour les offices et au réfectoire pour les repas. En revanche la question du port de l’habit par un moine seul dans l’espace public est plus délicate. En effet l’habit monastique a largement perdu sa fonction de signal dans la mesure où un part de plus en plus large de nos contemporains ne sont plus capables d’identifier le porteur d’un habit monastique comme un moine et donc d’exiger de lui un comportement en rapport avec sa profession. Par ailleurs ils risquent de percevoir l’habit comme un affichage trop ostentatoire des convictions religieuses dans l’espace public dont elles sont de plus en plus bannies. De ce point de vue les remarques formulées par O du Roy au début des années 1970 sont encore plus valable un demi-siècle plus tard.


La troisième caractéristique de l’habit monastique est son symbolisme. Cette caractéristique est la moins universelle puisqu’il faut bien avouer qu’elle et absente de la Règle de saint Benoît. Benoît, qui emprunte pourtant aux Institutions cénobitiques de Cassien l’idée d’adapter le vêtement aux conditions climatiques ne reprend pas ses explications symboliques du vêtement des moines. Le cas le plus caractéristique est celui du scapulaire. Alors qu’à la même époque Dorothée de Gaza souligne le rapport entre le scapulaire et la croix du Christ, Benoît se contente de parler d’un scapulaire pour le travail (propter operam). L. Bénard, qui voyait dans le scapulaire la pièce essentielle de l’habit monastique a voulu faire dire à cette expression beaucoup plus qu’elle ne dit effectivement. Il vaut mieux nous semble-t-il constater que saint Benoît n’est guère sensible au symbolisme du scapulaire. Mais l’on doit affirmer aussitôt après que si les moines bénédictins portent aujourd’hui un scapulaire – surtout de la manière dont ils le portent – ce n’est pas comme un tablier de travail mais comme un habit renvoyant, conformément à la tradition monastique ancienne, à la croix du Christ.


"Vie monastique et enjeux contemporains"

Fr. Jean-Pierre Longeat


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