Dieu au travail

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Une illustration pour rendre compte de ce que peut être l'étrangeté et la dépossession du travail de l'homme


... Mais nous, c’est à dire 99% des contemporains, nous n’avons pas “fabriqué” les machines (les machines cybernétiques, par exemple) ; nous ne les percevons pas comme “notre” oeuvre mais comme des objets insolites, alors que ce que nous produisons nous-mêmes ne nous semble jamais insolite. Et même si nous avions participé directement à leur production, nous n’aurions pas pour autant l’impression d’être leurs fiers créateurs.


…D’abord parce que les processus de production sont décomposés en tellement d’actes isolés qu’il ne reste plus aux ouvriers la moindre occasion d’être fiers ni du produit fini dans sa singularité ni de l’ensemble du monde des instruments et des produits, et aussi parce qu’aucun produit fini ne laisse voir le travail et les aptitudes que les ouvriers ont investis en lui.


…Quant à l’homme qui est confronté pour la première fois à une computing machine (ordinateur) au travail, il est plus éloigné encore de tout sentiment de fierté et de maîtrise. Le spectateur qui s’exclamerait : « Bon sang, quels sacrés types nous sommes pour avoir fabriqué une pareille chose ! » ne serait qu’un plaisantin. Il chuchotera plutôt en hochant la tête : «  Mon Dieu, quelle machine ! » et se sentira très mal à l’aise, à demi épouvanté et à demi honteux dans sa peau de créature.

 

Günther ANDERS, « L’obsolescence de l’homme », 1956 !


(Proposé par André)


Enseignante catholique en école républicaine laïque…


Lorsque je devins épouse et mère de famille, les horaires de travail en milieu associatif (le soir, le week-end, etc.) se révélèrent peu propices à ma priorité: la vie de couple et de mère. Je décidai donc de me reconvertir professionnellement. Mon choix se fixa sur le métier de professeur des écoles.


Grande question: dans l’enseignement libre sous contrat ou dans l’Education nationale, laïque ?


Très vite je décidai de travailler pour l’Education nationale, pour deux raisons majeures :

  • l’une était la plus grande probabilité de travailler près de chez moi,
  • l’autre le désir profond de séparer vie de foi en paroisse, et vie professionnelle.


J’aime profondément mon métier de professeur des écoles. Voir un enfant comprendre enfin telle ou telle notion (et alors ses yeux pétillent, c’est merveilleux), vivre une année scolaire (ou deux) avec un groupe d’élèves, accompagner la dynamique de classe, etc. Je peux passer des heures à préparer telle séance, à expliquer en classe ou sur les copies ce qui n’est pas compris…


MAIS…


il n’y a pas de crucifix, d’icône de Marie dans la classe. Je n’ai pas le droit de témoigner de mon amour pour le Christ. Je ne peux faire vivre du pardon chrétien lorsque deux enfants se sont fortement chamaillés. Je ne peux porter de signe religieux. Tout ceci me manque. J’y ai beaucoup réfléchi : je crois vivre comme le grain de blé semé en terre, qui meurt pour donner la vie. Mes collègues savent pertinemment que je suis catholique pratiquante. Certains de mes élèves m’ont vue lire à la messe, ou assurer le catéchisme. Mon silence respectueux n’est pas de la lâcheté, mais une forme d’apostolat, je le crois vraiment.


Qu’en pensez-vous ?


(Une enseignante catholique)



Chère collègue,


Non, "votre silence respectueux n'est pas de la lâcheté". En effet, le lien entre l'école laïque et "la société" n'est pas poreux et ne saurait l'être.Je vous cite Régis DEBRAY :


" La laïcité est une exigence. De quoi ? De frontières . Une frontière n'est pas un mur, c'est un seuil pour distinguer le dehors du dedans. Le respect de cette démarcation requiert incontestablement un effort sur soi-même, une retenue, une discipline. L' individu est censé s'effacer derrière sa fonction...L' école est le lieu où la société ne doit pas s'exprimer."... En plaçant l'enfant au centre du système, c'est-à-dire les familles, les parents d'élèves virent-ils l'école s'ouvrir à eux afin qu'ils s'y sentent comme chez eux avec droit de regard sur les maîtres, les programmes et la notation des copies."


Quant à "témoigner", permettez- moi ces lignes de Jankélévitch :


" La manière de donner vaut mieux que les dons, la manière de dire ...vaut mieux que les mots; mais la manière de ces manières vaut mieux que tout."


(André)



“Certains   incidents,   au   cours   du   travail,   procurent,   il   est   vrai,   de   la   joie,   même   s'ils diminuent le salaire. D’abord les cas, qui sont rares, où on reçoit d'un autre à cette occasion un précieux témoignage de camaraderie ; puis tous ceux où l'on peut se tirer d'affaire soi-­même.


Pendant qu'on s'ingénie, qu'on fait effort, qu'on ruse avec l'obstacle, l'âme est occupée d'un avenir qui ne dépend que de soi-­même. Plus un travail est susceptible d'amener de pareilles difficultés, plus il élève le cœur. Mais cette joie est incomplète par  le défaut d'hommes, de  camarades  ou chefs, qui jugent et apprécient la valeur de ce qu'on a réussi. Presque toujours  aussi bien les  chefs  que les camarades chargés d'autres opérations sur les mêmes pièces se préoccupent exclusivement des pièces et non des difficultés vaincues. Cette indifférence prive de la chaleur humaine dont on a toujours un peu besoin. Même l'homme le moins désireux de satisfactions d'amour ­propre se sent trop seul dans un endroit où il est entendu qu'on s'intéresse exclusivement à ce qu'il a fait, jamais à la manière dont il s'y est pris pour le faire ...”


SImone Weil - La condition ouvrière - 1937


(proposition d'André)

Créer des nouveaux lieux et modes de
vie, pour (re)trouver des relations humaines fraternelles et la joie du travail, tout en prenant
soin de l’environnement.