L'ancienne Salle du chapitre (12e siècle)
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Dans la salle du chapitre, chaque jour la communauté entend un commentaire d'un chapitre de la Règle de saint Benoît (d'où son nom)
24 mars
Chapitre 44
Comment les exclus feront réparation
A l'heure où l'on célèbre le service de Dieu dans l’oratoire,
celui qui, pour des fautes graves,
a été exclu de l’oratoire et de la table,
se tiendra prosterné devant la porte de l’oratoire
sans rien dire, la tête au sol,
allongé aux pieds de tous ceux qui sortent de l’oratoire.
Il fera cela jusqu’à ce que l’abbé juge
qu’il a fait réparation suffisante.
Lorsque l’abbé l’aura fait venir,
qu’il se jette aux pieds de l’abbé, puis de tous,
afin qu’ils prient pour lui.
Alors, si l’abbé l’ordonne,
il sera reçu au choeur et au rang que l’abbé aura décidé.
Il n’aura pas le front d’entonner ni psaume ni leçon,
ni quoi que ce soit dans l’oratoire sans nouvelle permission de l’abbé.
À toutes les Heures, quand s’achèvera le service de Dieu,
il se prosternera à terre à sa place.
Ainsi il fera réparation,
jusqu’à ce que de nouveau l’abbé l’autorise à cesser cette réparation.
Ceux qui, pour des fautes légères,
sont exclus seulement de la table
feront réparation à l’oratoire tant que l’abbé l’ordonnera.
Ils font cela jusqu’à ce que l’abbé les bénisse
et dise : « Cela suffit. »
Ce régime de réparation des fautes paraît sévère, mais il a le mérite de prendre au sérieux le fait que l’on doive réellement changer de conduite lorsque, on a blessé la communion par une attitude contraire au commandement de l’amour. Il serait important de trouver des moyens concrets, aujourd'hui, pour accompagner ce mouvement de conversion. Sinon, cela relève au mieux des bonnes intentions qui n’ont pas vraiment de conséquences, et, au pire, d’un laisser-aller négligent qui ne tient compte que de sa subjectivité et de son amour-propre. Il y a vraiment là un lieu d’attention pour lequel il faut trouver une bonne traduction dans les mentalités d’aujourd’hui.
25 mars
Chapitre 45
De ceux qui se trompent à l’oratoire
Celui qui fait une erreur en disant un psaume, un répons, une antienne ou une leçon,
et n’en fait pas réparation sur le champ,
devant tous, avec humilité,
subira un châtiment plus sévère,
car il a refusé de corriger par un geste d’humilité
la faute commise par négligence.
Quant aux jeunes enfants,
pour des fautes de ce genre, ils seront fouettés.
De telles mesures nous semblent aujourd’hui disproportionnées, mais essayons de voir l’enjeu et tentons de le traduire pour aujourd’hui. D’une part, la prière commune est vraiment mise à la première place et la moindre erreur nuit à sa réalisation comme oeuvre de Dieu transmise par ceux qui le vivent. Il ne coûte rien de reconnaître une petite erreur sur le coup par un petit signe, un petit geste et de poursuivre avec vigilance son travail. Alors qu’il coûte cher souvent de revenir sur une faute ancienne qui a pu créer toutes sortes de malentendus et envenimer le mal en soupçonnant autrui de mauvaise intention et d’impossibilité de changer. Quant aux traitements des enfants, on l’a déjà dit, la pédagogie a évolué….
26 mars
Chapitre 46
Ceux qui font d’autres fautes
Au cours d'un travail quelconque,
à la cuisine, au cellier, dans le service de table,
à la boulangerie, au jardin,
dans l’exercice d’un métier quel qu’il soit
et en quelque lieu que ce soit,
si quelqu’un commet une faute,
casse ou perd quelque chose,
se livre à quelqu’autre abus où que ce soit
et s’il ne vient pas de lui-même immédiatement
devant l’abbé et la communauté
faire réparation et avouer sa faute,
et que cela soit connu par un autre,
il subira un châtiment plus rigoureux.
S’il s’agit d’un péché secret de l’âme,
il s’en ouvrira seulement à l’abbé
ou aux pères spirituels qui savent soigner leurs propres blessures
et celles d’autrui sans les dévoiler ni les faire connaître.
Saint Benoît insiste pour que les fautes ne restent pas longtemps cachées et reconnues afin qu’elles n’aient aucune prise sur la vie du groupe. Car c’est le propre de la faute de masquer son jeu et de se présenter sous un jour acceptable, justifiable. Au contraire, si avec humilité, on reconnaît aussitôt que l’on s’est fourvoyé, la faute s’évanouit, elle n’a plus de prise. Cela vaut pour la vie courante dans les gestes du quotidien, mais cela peut aussi concerner le for interne ; dans ce cas, le traitement doit se faire avec des personnes expérimentées pour que le dévoilement de la faute ne produise pas un mal encore plus fort dans le groupe et chez la personne concernée. L’important est de tenir l’équilibre entre la dimension intérieure et la mise en oeuvre dans le fonctionnement du groupe.
27 mars
Chapitre 47
Comment signaler l’heure du service de Dieu
Il revient à l'Abbé d’annoncer l’heure du service de Dieu,
de jour comme de nuit.
Qu’il s’en charge lui-même
ou qu’il charge de cette fonction un frère assez vigilant,
pour que tout se fasse aux heures appropriées.
Ceux qui en auront ont reçu l’ordre
imposeront, à tour de rôle après l’abbé, les psaumes et antiennes.
Nul ne prendra la liberté de chanter ou de lire,
s’il n’est capable de remplir cette tâche de manière à édifier les auditeurs.
Cela doit se faire avec humilité, sérieux,
profond respect et sur l’ordre de l’abbé.
Saint Benoît l’a dit avec force, «rien ne doit être préféré à l’Oeuvre de Dieu, à la prière en commun.» Tout ce qui s’y rapporte doit recevoir un soin précis et constamment attentif. Depuis la régularité dans l’appel à la prière jusqu’à la manière d’intervenir pour ce qui est du chant, des lectures, des attitudes, des mouvements, des retards. Si cette attention n’est pas assez soutenue, il y a un rendez-vous manqué. Et ce rendez-vous là ne peut être remplacé par aucun autre.
28 mars
Chapitre 48
Du travail manuel quotidien
L’oisiveté est l'ennemie de l'âme.
C’est pourquoi, à certaines heures,
les frères doivent s’occuper au travail des mains,
et à certaines autres à la lecture des choses divines.
En conséquence, nous estimons pouvoir régler
l’emploi des unes et des autres de la manière suivante.
De Pâques aux calendes d’octobre,
sortant le matin, ils feront les travaux nécessaires,
de la première à la quatrième heure environ.
De la quatrième heure jusqu’à celle où ils diront Sexte,
ils vaqueront à la lecture.
Après Sexte, se levant de table,
ils reposeront sur leur lit dans le plus profond silence,
à moins que quelqu’un veuille lire,
– qu’il le fasse alors pour lui, sans troubler autrui.
On dira None vers le milieu de la huitième heure,
et de nouveau jusqu’à Vêpres ils feront ce qu’il y a à faire.
Si les conditions de lieu ou la pauvreté exigent
qu’ils s’occupent eux-mêmes des récoltes,
qu’ils ne s’attristent pas.
Car c’est alors qu’ils sont vraiment moines,
quand ils vivent du travail de leurs mains,
comme nos Pères et les Apôtres.
Que tout se fasse pourtant avec mesure, à cause des faibles.
On connaît la «devise» bénédictine «ora et labora» , "prie et travaille" : cela paraît juste pour bien équilibrer une vie : une part de travail et une part de recherche intérieure. Ainsi l'ensemble de la personne est sollicitée et avec une part d'égalité dans les activités de tous.. Cela est nécessaire dans une vie humaine et dans une vie sociale. Lorsque les activités ne développent que la capacité intellectuelle, ou «spirituelle» ou matérielle, il y a une déperdition et un déséquilibre de la personne et à plus forte raison du groupe. Cultivons le bon équilibre de l’ora et du labora.
29 mars
Chapitre 48
Du travail manuel quotidien (suite)
Du 1er Octobre au début du carême,
ils vaqueront à la lecture
jusqu’à la fin de la deuxième heure.
À la seconde heure, on dira Tierce.
Puis, jusqu’à la neuvième heure,
tous iront au travail qu’on leur a prescrit.
Au premier signal de la neuvième heure,
chacun quittera son travail
et sera prêt pour la deuxième sonnerie.
Après le repas, ils vaqueront à leurs lectures et aux psaumes.
En temps de Carême,
du matin à la fin de la troisième heure,
ils vaqueront à leurs lectures.
Puis, jusqu’à la fin de la dixième heure,
ils feront le travail qu’on leur a prescrit.
Pendant ces jours de carême,
chacun recevra un livre de la bibliothèque
qu’il lira à la suite et en entier.
On donnera ces livres au début du carême.
Il faudra surtout charger un ou deux anciens
de parcourir le monastère aux heures où les frères vaquent à la lecture.
Ils veilleront à ce qu’un frère, pris de dégoût,
ne se livre pas à l’oisiveté, aux bavardages,
au lieu de s’appliquer à la lecture,
et qui serait non seulement inutile à lui-même,
mais dissiperait les autres.
Si par malheur il se trouve un tel frère,
on le corrigera une et deux fois.
S’il ne s’amende pas,
on le soumettra à la rigueur de la règle
de telle façon que les autres en conçoivent de la crainte.
Un frère ne se joindra pas à un autre frère aux heures indues.
Pour qu’une vie soit vraiment humaine, la part du travail et donc du service, ne doit pas être mineure. Dans la Règle, cette part occupe une place importante dans la journée, par exemple, ici, de la 3ème heure à la 9ème ou la 10ème heure : ce qui fait quelques 6 ou 7 heures consacrées au travail dans la journée. Mais par ailleurs aussi, il est nécessaire d’avoir des temps gratuits de lecture, de silence, de prière : ces temps occupent aussi une place notable dans la Règle de saint Benoît, et en Carême, plus encore qu’en tout autre temps. Durant cette période privilégiée en effet, saint Benoît insiste pour que chacun reçoive un livre et le lise en entier. S’il insiste autant, c’est que cela ne devait pas aller de soi dans la vie courante ! Ecoute et service, voilà toute la vie d’un être humain qui veut répondre à l’appel d’être ce qu’il est vraiment. Tout le reste en découle.
30 mars
Chapitre 48
Du travail manuel quotidien (suite)
Le dimanche, tous vaqueront à la lecture,
excepté ceux qui sont chargés de diverses fonctions.
Si quelqu’un était si négligent et paresseux
qu’il ne veuille pas ou ne puisse méditer ou lire,
on lui prescrira un travail pour qu’il ne reste pas oisif.
Quant aux frères infirmes ou délicats,
on leur donnera un travail ou un métier
tel qu’il leur évite l’oisiveté sans les écraser
ou les faire fuir un labeur accablant.
L’abbé prendra leur faiblesse en considération.
Le travail, notamment le travail manuel, permet le développement d’une autre forme de rapport à l’existence que la réflexion. Si le corps est inactif, l’exercice mental peut devenir très prépondérant et le risque de dispersion et d’illusion trop prégnant. L’intelligence du corps tempère l’illusion de l’esprit, de même que l’expression de l’esprit peut dynamiser le corps. Les deux sont nécessaires. Le pire c’est l’oisiveté mentale et corporelle. Il ne s’agit pas de se tuer au travail comme pour ne plus penser, mais simplement de s’inverstir corps et âme pour ne pas céder à la multiplicité vaine ou à la vacuité stérile. C’est tout le sens de l’organisation du temps dans les monastères.
31 mars
Chapitre 49
De l’observance du carême
Il est clair que la vie d'un moine
doit garder, en tout temps, l’observance du carême.
Cependant peu ont un tel courage.
Aussi nous suggérons qu’au moins en ces jours du carême,
ils gardent leur vie en toute pureté,
et, du même coup, effacent pendant ces saints jours
toutes les négligences des autres temps.
Cela se fera convenablement
si nous nous abstenons de tous les vices
et nous adonnons à la prière avec larmes,
à la lecture, à la componction du coeur et à l’abstinence.
Pendant ces jours-là, ajoutons donc quelque chose
à la tâche habituelle de notre service :
prières particulières, abstinence de nourriture et de boisson.
Que chacun, par delà la mesure qui lui est assignée et de sa propre volonté,
offre quelque chose à Dieu dans la joie du Saint-Esprit.
Qu’il prive son corps de nourriture, de boisson,
de sommeil, de bavardage, de plaisanterie,
et qu’il attende la sainte Pâques dans la joie du désir spirituel.
Toutefois cette offrande même,
chacun la soumettra à son abbé
pour l’accomplir avec sa prière et son assentiment.
Car ce qui se fait sans la permission du père spirituel
sera tenu pour présomption et vaine gloire,
et non pour un salaire.
Tout doit se faire avec l’assentiment de l’abbé.
Pour Saint Benoît, le Carême est un temps de renouveau et de dynamisme. Il s’agit d’accéder à une vie claire et juste, en travaillant la question de la pureté à partir du coeur. Aucune pratique extérieure n’est une fin en soi. C’est un moyen de travail pour cultiver une meilleure disponibilité intérieure, une meilleure écoute, une meilleure attention. A l’occasion du Carême, que l'on devrait vivre sans discontinuer, saint Benoît parle d’allégresse du désir spirituel comme aussi de joie que donne l’Esprit Saint. Grandissons dans cette ouverture, n’hésitons pas à nous y engager, corps et âme.
1er avril
Chapitre 50,
Des frères qui travaillent loin de l’oratoire ou sont en voyage
Les frères qui sont très loin pour le travail
et ne peuvent arriver à temps à l’oratoire
– l’abbé jugera lui-même s’il en est ainsi –
diront l’office divin là où ils travaillent,
avec crainte de Dieu et à genoux.
De même ceux qui sont en voyage
n’omettront pas les Heures prescrites.
Ils feront du mieux qu’ils peuvent, en leur privé,
sans négliger de s’acquitter de l’obligation de leur service.
Pour saint Benoît, l’oeuvre de Dieu, l’office divin est une priorité : «Ne rien préférez à l’oeuvre de Dieu». Y compris quand on est loin de l’église à cause du travail ou en voyage. L’office n’est pas fait pour être célébré seul, mais c’est parfois une occasion d’en renouveler l’approche quand les circonstances l’obligent. Dire l’office en petit groupe sur un lieu de travail, ou dire un office dans un train permet d’appréhender autrement cette disposition de prière si prégnante dans la vie d'un disciple du Christ, comme si toute la vie devenait elle-même liturgique.
2 avril
Chapitre 51
Des frères qui s’en vont à peu de distance
Le frère qui est envoyé faire une course
et qui espère rentrer le jour même au monastère
ne prendra pas la liberté de manger au dehors,
même s’il en est instamment prié par quelqu’un.
À moins que son abbé ne le lui ait prescrit.
S’il agit autrement, il sera exclu.
Vivre en rapport avec le groupe auquel on appartient comme un sacrement de communion et d’unité. Faire en sorte que ce rapport soit privilégié. Et en même temps ne pas s’attrister des situations où l’éloignement de la communauté est indispensable. Saint Benoît appelle à vivre toutes choses avec le sens profond qu’elles revêtent. Cela ne va pas toujours de soi !